La biodiversité, une barrière contre les épidémies
Paludisme, chikungunya, grippe aviaire, parasites… on associe encore trop souvent la faune sauvage aux épidémies. On brandit le spectre des maladies émergentes ou importées. Face aux menaces, réelles ou supposées, politiques et décideurs se mobilisent et recourent le plus souvent à la seule arme considérée comme efficace : l’éradication d’urgence. Fausse route, nous dit l’ouvrage « Notre santé et la biodiversité » publié à l’initiative de l’Association santé environnement France et d’Humanité et Biodiversité. Le livre, qui réunit les réflexions d’une trentaine de spécialistes de plusieurs disciplines (médecins, vétérinaires, biologistes, écologues, philosophes), marque une nouvelle étape dans la compréhension des liens complexes qui unissent l’homme à son environnement, et tout particulièrement ceux qui mêlent santé et biodiversité.
Premier constat des auteurs : la nature sauvage est souvent à tort considérée comme une source de menaces pour notre santé. Une crainte pas totalement infondée puisque les maladies infectieuses sont à 61 % d’origine animale. Aujourd’hui encore, la faune sauvage représente un réservoir de zoonoses émergentes (fièvre Ebola, virus du SRAS, maladie de Lyme…).
Une protection
Mais les choses sont plus complexes qu’elles en ont l’air. Ainsi, des recherches scientifiques montrent que c’est le plus souvent l’action humaine qui aggrave voire cause maladies ou épidémies. Un exemple, en 2005-2006, avec l’épisode de la grippe aviaire. Très vite, les oiseaux migrateurs sont incriminés. Pourtant, ils se déplacent du sud-ouest (Afrique) vers le nord-est (Scandinavie), alors que l’épidémie progresse en longeant le transsibérien de l’est vers l’ouest. Les pouvoirs publics décident pourtant de confiner les derniers élevages de volailles de plein air, alors qu’il apparaît rapidement que l’épidémie se transmet par le commerce des volailles, en particulier des poussins, et explose dans les établissements d’élevage intensif fermés ! Autre exemple, des chercheurs indiens ont calculé que le déclin des vautours dans leur pays avait laissé place, entre 1992 et 2006, à 5,5 millions de chiens sauvages supplémentaires, responsables d’au moins 38 millions de morsures d’êtres humains, dont 47 300 ont entraîné la mort par transmission de la rage…
En détruisant les écosystèmes, en perturbant le fonctionnement du vivant, par la pollution par exemple, l’homme se met donc lui-même en danger. Alors que notre meilleure défense face aux zoonoses consiste justement à favoriser la biodiversité. C’est ce que les scientifiques nomment « effet de dilution ». Dans un milieu donné, plus les hôtes et les non-hôtes d’un parasite sont nombreux et variés, plus la prévalence (le nombre de cas de maladies à un moment donné dans une population) est faible, et plus le risque de transmission aux animaux domestiques ou à l’homme est faible aussi. Autrement dit, plus un écosystème est riche, moins un pathogène a des chances d’y prospérer. La biodiversité constitue donc une protection.
Un exemple illustre très bien ce principe : celui de la maladie de Lyme transmise par les tiques, en pleine recrudescence aux États-Unis comme chez nous. Une étude a montré que c’est dans les États qui ont la plus forte diversité en espèces de rongeurs que la maladie est la moins présente.
La biodiversité soigne
La biodiversité n’est pas seulement une barrière contre les épidémies. Elle peut aussi nous rendre d’innombrables services écologiques ou sanitaires comme l’épuration des eaux, la régénération des sols, la régulation des cours d’eau et la stabilisation du climat. Elle est un facteur essentiel du bien-être humain, en particulier en matière de santé, ne serait-ce que par les médicaments que l’on peut en obtenir. Il y a trente ans, l’éponge des Caraïbes Cryptotethya crypta n’était qu’une espèce parmi d’autres, dont on avait extrait une molécule nouvelle, l’AZT, sans réelle utilité. Depuis, cette molécule s’est révélée un des principaux outils dans la lutte contre le sida.
Encore faut-il arriver à temps. Dans les années 1980, une espèce particulière de grenouille était découverte dans les forêts humides australiennes. Elle avait la propriété d’élever ses nouveau-nés dans son estomac tout en produisant une substance capable de bloquer les acides digestifs. Une excellente base pour espérer développer un médicament contre les ulcères gastriques. Las, lorsque les chercheurs retournèrent en Australie pour mieux étudier ces grenouilles, leur milieu avait été détruit et l’espèce s’était éteinte. C’est là évidemment où le livre veut en venir. Il est urgent de protéger la biodiversité si l’on veut demain pouvoir encore préserver notre survie. Un véritable appel à la santé du vivant.