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L’humour en psychothérapie

L’humour en psychothérapie

Nous construisons le monde, alors que nous pensons le percevoir. Ce que nous appelons ‘réalité’ (individuelle, sociale, idéologique) est une interprétation, construite par et à travers la communication. Un patient est donc enfermé dans une construction systématisée, qui constitue son monde à lui. Dès lors la thérapie va consister à tenter de changer cette construction », écrivait Paul Watzlawick1, célèbre théoricien de la communication. En ce sens, l’humour, qui nous ouvre à l’art du décalé (au propre et au figuré), tombe à pic en thérapie, pour déconstruire ce qui nous enferme et favoriser ainsi l’émergence de compétences nouvelles.

Mieux vaut en rire

L’humour fait partie intégrante de la vie de Jean Van Hemelrijck et du regard qu’il porte sur le monde. Si, à l’issue de ses études en psychologie, il pense « exercer son métier avec solennité » (sic), la rencontre avec son maître à penser, Siegi Hirsch, pionnier de la thérapie familiale2, l’ouvre à ce jeu jubilatoire avec les mots. « Mais, attention, je ne ris jamais de la personne, mais de la situation, des événements, de moi », recadre-t-il. L’humour n’est pas non plus, selon lui, une panacée universelle, ni une prescription à mettre au programme de toutes les thérapies. « Chaque thérapeute accompagne les patients avec ce qu’il est. Comme j’aime rire, raconter des blagues et jouer avec les mots, je suis congruent en utilisant l’humour et en me laissant porter par lui, quand il surgit. Je précise que je n’y mets pas d’intention. »

Dire sans dire

Parmi les fonctions que revêt l’humour dans le langage thérapeutique, l’erreur serait de croire qu’il aide à dédramatiser. « Ce qui nous est arrivé de grave ne l’est pas moins après avoir ri », précise Jean Van Hemelrijck. L’humour offre un détour métaphorique qui permet de rendre pensable l’impensable. De dire l’indicible. Face aux événements dramatiques, les mots classiques se révèlent insuffisants, blessants. Ils viennent, en outre, souligner l’impuissance des hommes. « On le voit dans la presse, lors d’un drame : les mots ‘crus’ créent beaucoup de dégâts, illustre-t-il. Dans mon métier, je rencontre des hommes et des femmes qui ont vécu des événements d’une violence impensable ; dans de tels cas, utiliser les mots ‘nus’ s’avère trop confrontant. Dès lors, quand l’humour se présente à moi en thérapie, il permet de dire l’essentiel en ne le disant pas… Prenez la Shoah : ce sont les Juifs qui en rient le plus au travers d’une multitude de blagues. Celles-ci leur offrent ce détour de dire l’horreur par l’humour. » Ainsi, le rire, par le recul qu’il procure, réinscrit-il les événements dans leur contexte, ouvrant une perspective plus large. « En nous projetant symboliquement ailleurs que là où l’on pensait aller, la chute d’une blague, le jeu de mots, apportent de l’imprévu et nous sortent de l’enfermement ; de notre temporalité, de nos rigidités et de l’intégrisme des vérités toutes faites. » Du coup, l’individu est à même de reprendre la barre : de repenser les choses et de voir surgir de nouvelles ressources, comme autant de possibilités d’évolution.

En pratique

Jean Van Hemelrijck est psychothérapeute familial et psychologue, formateur en thérapie familiale. Il travaille dans le cadre du centre de guidance de l’UCL Louvain-La-Neuve. Il accompagne notamment des familles ayant vécu le génocide du Rwanda en 1994. Une conférence est prévue en juin à Paris, sur la fonction de l’humour en thérapie (renseignements auprès de Jean Van Hemelrijck).

 

Se relier

« L’humour est un jeu d’une grande humanité », souligne Jean Van Hemelrijck. Humanité qu’il a notamment partagée en accompagnant des patients en fin de vie, riant avec eux de la situation, de leur chambre, de la vie, de lui-même… « Je n’ai d’ailleurs jamais autant ri qu’en cancérologie ! Pour des personnes souvent traitées comme des morts en sursis, le trait d’humour – s’il n’est pas humiliant ou agressif – crée la surprise : il relance la vie et redonne du sens. En ne regardant plus l’autre comme un être diminué mais, au contraire, en vie, on lui redonne de l’humanité. » D’où le succès du film Intouchables et son célébrissime : « Pas de bras, pas de chocolat ! » Cela vient souligner un autre aspect clé de l’humour : il relie et insuffle un sentiment d’appartenance. « L’éclat de rire est une manifestation sonore du ‘vivre ensemble’. Il a une fonction rituelle de synchronie : il nous place sur le même rythme. » On le sait : tout le monde rit, mais pas de la même chose, en fonction des cultures. Alors, Jean Van Hemelrijck, flamand de naissance, de mère anglaise et francophone d’adoption, utilise sa principale qualité – la curiosité de l’autre – pour s’ouvrir à l’humour de ses patients, afin de les rejoindre dans ce qu’ils vivent. « Ils sont tellement surpris de pouvoir rire chez le psy ! Cela crée une autre qualité de lien, les mettant en confiance. Enfin, un psy qui ne se prend pas au sérieux, se disent-ils ! » (Rire) 

1. Faites-vous-même votre malheur, de Paul Watzlawick, Éd. Le Seuil

2. Ce rescapé des camps de concentration de la seconde guerre mondiale a intégré dans son approche
la nécessité de toujours « aller dans le sens de la vie ».

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