Une assiette politiquement correcte ?
Il n’y a rien de plus agaçant que de recevoir des critiques parce qu’on a eu envie, pour des raisons qui ne concernent que nous, de mettre un bifteck dans son assiette. Mais que ce ras-le-bol ne masque pas la réalité. Outre le fait que ces articles émanent de milieux libéraux acquis au business des multinationales, ils n’en rendent pas moins réels les enjeux de consommation. Ni le fait que l’alimentation politiquement correcte n’est pas du côté de l’assiette bio, mais bien de la malbouffe industrielle.
Reprocher à son adversaire ses errances pour discréditer ses arguments les plus solides est une technique rebattue. On glisse ainsi d’un sujet à l’autre pour tenter de ridiculiser les tenants d’une alimentation plus saine. Et il y en a plein, des reproches à faire, surtout quand on met tout le monde dans le même sac (la généralisation est un autre procédé éculé) : ceux qui prodiguent des conseils un peu maladroits à leur entourage, ceux dont le métier est d’informer, ou encore les politiques, qui pour le coup ne ratent pas une occasion de faire du « politiquement correct » avec tout, éclaboussant par là-même les porteurs de vraies initiatives, victimes collatérales de leur opacité.
Merci Marisol Touraine ! Apposer des pastilles de couleur sur les aliments, pour indiquer, comme à des enfants de 12 ans, ce qui est bon, moins bon ou mauvais pour la santé, ne sert non seulement à rien, mais il aide les adeptes du sophisme à vilipender toutes les initiatives qui défendent le local, le sain... Enfin, la vraie « bouffe », qui n’est pas celle que la ministre faisait mine de défendre : avec ses gommettes infantilisantes, il s’agissait avant tout de distribuer de nouveaux bons points aux industriels.
On n’attendait pas plus les institutions sanitaires, qui nous exhortent à « manger bouger ». Ce slogan fut une excellente base de communication pour faire germer des idées aussi farcies que l’étiquetage nutritionnel, la publicité officielle pour les produits laitiers et autres fat tax censées apprendre au pauvre à s’alimenter. Ou plutôt, à alimenter les caisses de l’État...
Écoutons à ce propos une critique assez inattendue des initiatives gouvernementales, celle d’Olivier De Schutter, ancien rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, qui répondait en avril à une interview du Monde sur le modèle agricole mondial. « Les gouvernements sont sensibles aux intérêts de leurs grandes entreprises agroalimentaires, qui se trouvent de fait disposer d’un droit de veto sur les transformations d’ensemble.» Aussileur adresse-t-il ce « message final » : « les gouvernements doivent admettre qu’ils ne détiennent pas toutes les solutions et qu’il faut accorder une grande place aux citoyens dans la prise de décision. Je crois aujourd’hui davantage à une transition imposée par des initiatives venues d’en bas que par des réglementations imposées d’en haut ».
À plus petite échelle encore, celle de l’individu, je vois dans ces propos la confirmation de l’extraordinaire pouvoir que nous avons tous à travers les choix de consommation que nous faisons. Et qui n’ont évidemment rien à voir avec les mesures du gouvernement, éloignées depuis longtemps du bien commun.