Myriam Szejer redonne la parole aux nouveau-nés
Tout au long de son livre, l’auteur ne cesse de rappeler une évidence trop souvent niée : la parole est d’or ! Et, à ce titre, le bébé doit être considéré comme un être de parole dès sa conception. Du début à la fin de sa vie, l’individu se construit à travers la parole. « L’être humain est destiné à parler et, de ce fait, il est très sensible aux paroles qui lui sont adressées. Il les mémorise depuis longtemps et les paroles prononcées à son égard entrent en résonance avec certaines informations emmagasinées pendant sa vie fœtale. Surtout, le nouveau-né est en proie aux effets du langage qui lui échappe, celui de l’inconscient, de ses parents, de la société. »
Des actes aussi !
Myriam Szejer insiste beaucoup sur l’importance de nos gestes envers les nouveau-nés. Elle a ainsi observé la période de veille du nouveau-né qui suit l’accouchement et dure environ quarante minutes. « Il faut se rendre compte de ce que nous pouvons faire subir aux nouveau-nés quand nous les accueillons : le bébé arrive au monde et au moment où il perd tous ses repères, on le prend, en pleine lumière ; on l’amène dans une autre pièce ; on le pèse nu, ce qui est un stress intense, car il se retrouve sans enveloppe ; on le mesure en l’étirant, alors qu’il est encore replié et va se déplier progressivement ; on le calibre ; on lui introduit un tube pour aspirer les glaires ; on le lave en le frottant avec du savon pour enlever le vernix et on brouille ainsi les pistes odorifères de l’allaitement… puis on le place dans une couveuse, avec interdiction pour la mère d’ouvrir et de le caresser sous peine de refroidissement… »
Qu’est-ce que cela signifie dans un monde de nouveau-né, interroge la psychiatre ? « En passant de la vie aquatique à la vie aérienne, les perceptions tactiles déjà très anciennes du fœtus vont être modifiées. Il faut donc respecter particulièrement le toucher et la régulation thermique. Le bébé, tout juste sorti du liquide amniotique, ne perçoit pas les limites de son corps, sensation fort angoissante. Si on le pose sur le ventre de sa mère, l’odeur de celle-ci va l’entourer, comme ses caresses, sa voix. Il est aussi très sensible au froid, puisqu’il vient d’un milieu aquatique à 37 °C. Le ventre, les seins de sa mère suffisent à le réchauffer… Pour les premiers soins, rien ne presse. L’enfant les supportera d’autant mieux qu’il aura trouvé ces premiers repères sécurisants. » Ces gestes sont autant de pierres portées au précieux édifice de son psychisme, ce que les psychanalystes nomment le narcissisme primaire, une forme de confiance en soi.
Combattre la perte de l’humain « Nous qui ne parvenons pas à obtenir la paix, nous qui sommes encore les témoins de génocides effrayants, nous avons le devoir de nous interroger sur la manière dont nous accueillons nos enfants et préparons ainsi le futur. Il ne s’agit pas de jeter la technologie à la poubelle, et avec elle tous les progrès qu’elle nous a apportés. Mais il faut en combattre sans relâche l’effet secondaire, la perte de l’humain. Il en va de la fragilité des adolescents, trop souvent enfermés dans la violence ou l’addiction, de l’équilibre de la société, en prise avec la dépression, et pour finir, de notre capacité à vivre ensemble. La manière sans doute la plus efficace de faire diminuer la violence des adolescents est de cesser d’attendre et d’éduquer nos enfants comme des produits techniques réussis. Avant d’être dépistée, voire réprimée, l’enfance doit être accueillie. » |
Prévention et nécessaire réparation
Durant toute leur existence, les négligences de départ pourront se rejouer, lors des séparations, des naissances, des deuils… Elles apporteront leur lot de souffrance, d’agression, contre les autres ou contre soi-même.
« En même temps, les possibilités de réparation sont immenses, plus aisées qu’à l’âge adulte : la dépression de la mère peut avoir des conséquences sur le développement de son bébé, mais grâce à une prise en charge qui allie une psychothérapie, des antidépresseurs, un soutien familial…, le bébé peut reprendre un développement très vite. D’où l’intérêt d’une prévention : plus on se hâte d’intervenir, plus on s’assure de ne pas se heurter à des troubles difficiles à soigner. »
À lire
« Si les bébés pouvaient parler »,
de Myriam Szejer,
éd. Bayard, 2011.