Une enquête à la frontière de la vie
Malgré quelques accents graves, le sujet reste difficile, c’est sûr, il m’est apparu réconfortant et positif, à l’image de celle qui l’a écrit, Carine Anselme, notre chroniqueuse bien-être et psy. Un livre réconfortant. Qui ouvre de nouvelles perspectives pour nous donner plus de force face à ces moments de grande peine ou de grande souffrance, à la frontière de la vie. Interview de Carine Anselme.
D’où est partie l’idée de créer ce livre ?
Il s’inscrit dans la nouvelle collection, Expériences extraordinaires, à la frontière des sciences et de la spiritualité, dirigée par Stéphane Allix¹. Ce titre consacré à l’approche de la mort aborde ce sujet éminemment universel, qui nous questionne tous : que se passe-t-il à l’instant du dernier souffle ? Que devient la conscience durant le processus de la mort ? Qu’en est-il des expériences extraordinaires qui accompagnent la fin de vie ? La mort reste le plus grand tabou pour la plupart d’entre nous. Or, j’ai pu expérimenter, au travers de l’accompagnement des derniers instants de ma maman, qu’ouvrir les yeux sur la fin de vie permet d’accompagner en conscience ce passage crucial. Tant pour celui ou celle qui part, que pour ceux qui restent.
Votre maman était-elle présente au moment de la rédaction de ce livre ?
Non, elle était décédée depuis des années. Mais le récit de son accompagnement pose les bases de cette enquête aux frontières de la vie. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce moment a été lumineux. Alors même que la vie désertait le corps de ma mère, elle bouillonnait sur d’autres plans, en elle et tout autour d’elle… À l’époque, j’avais été interpellée, durant ses derniers instants, par différents phénomènes étonnants, témoignant d’un intense travail intérieur ; ce travail du trépas, comme l’appelle le psychanalyste Michel de M’Uzan. J’ignorais, alors, que ces phénomènes dits de conscience accrue sont vécus par un grand nombre de personnes en fin de vie.
Stéphane Allix qui introduit votre livre, parle d’un reportage. Quelle a été votre méthode pour aborder ce sujet grave ?
Il s’agit d’une enquête journalistique. Elle s’appuie sur une approche transversale de la mort, construite autour de témoignages, de reportages en milieux hospitaliers, d’entretiens avec des spécialistes – médecins, chercheurs, sociologues, accompagnants en fin de vie, etc. - et d’extraits de livres de référence, à la lumière des grandes traditions (Bardo-Thödol tibétain, Ars Moriandi chrétiens…). Je ne vous cacherais pas que réaliser ce livre a été confrontant ; aborder ce sujet vient nous travailler en profondeur !
En lisant votre livre, j’ai été étonnée de la puissance réconfortante des témoignages de ces thérapeutes ou accompagnants des derniers instants.
Ils sont aux premières loges de ce qui est à l’œuvre ; de cette (possible) ultime mise au monde, au seuil de la mort ! Si leurs témoignages s’avèrent étonnants de réconfort (plusieurs évoquent ces visages qui s’éclairent et ces êtres qui s’apaisent lors des derniers instants…), tous s’accordent à ne pas banaliser ni sublimer les souffrances de ce passage escarpé de la fin de vie. La mort reste un moment inédit.
Vous citez le philosophe André Comte-Sponville : L’homme est un animal métaphysique. C’est pourquoi la mort, toujours, est son problème. Il s’agit non de la résoudre mais de l’affronter.
Un silence… de mort entoure encore la fin de vie. Autant la mort fait son show dans les médias – dans ce qu’elle a de plus spectaculaire, donnant lieu à une catharsis libératoire – autant la mort intime est tue et refoulée de notre société. Or, le monopole médical actuel de la mort – venu supplanter l’aspect religieux, traditionnel, communautaire – n’évacue pas nos interrogations et nos angoisses, légitimes, face à la mort. Affronter ce mystère, c’est donner tout son poids à la vie et à la quête de sens que cela sous-tend.
Ce qui me frappe dans votre livre c’est l’intense activité de ce que vous nommez la conscience accrue à l’approche de la mort.
C’est le cœur de cet ouvrage. Quand la mort se présente petit à petit (en raison d’une maladie ou du grand âge), alors même que le corps se délite, la conscience semble croître. Durant ces épisodes dits de conscience accrue, les proches et les soignants constatent que les personnes en fin de vie peuvent avoir des visions (de paysages grandioses, de proches décédés). Mais aussi l’intuition, voire une certaine marge de manœuvre, en ce qui concerne l’heure de leur mort. Sans oublier le ressenti impérieux de mettre leur existence en ordre, afin de partir en paix. Ouvrir les yeux sur ces expériences propres au processus de fin de vie peut nous aider à mieux affronter notre peur de la mort et à accompagner avec justesse ceux qui vont mourir.
Quand je lis certains passages de votre livre, je repense aux camps de concentration nazis, où la mort rôdait partout, et au film La vie est belle de Roberto Benigni.
Oui, parce qu’au cœur de l’absurdité et de l’adversité peuvent se trouver des ressources – de joie, de vie, de poésie – insoupçonnées. Une manière de rester en contact avec ce qui fait la valeur de la vie humaine… jusque dans ses dernières extrémités.
Vous citez le sociologue et accompagnant en soins palliatifs Tanguy Châtel : Réussir à naître avant de mourir : c’est là l’entreprise la plus bouleversante, la plus réjouissante, la plus audacieuse d’une vie humaine. Votre livre célèbre la vie, en quelque sorte ?
Absolument. Porter un autre regard sur la mort, c’est aussi porter un autre regard sur la vie. Fécond et transformateur. Telle une invitation à vivre chaque instant de l’existence en pleine conscience. Car, comme ironisait Coluche : Si c’était possible, j’aimerais mieux mourir de mon vivant…
1. Stéphane Allix est le fondateur de l’INREES (Institut de recherche sur les expériences extraordinaires), auteur des documentaires Enquêtes extraordinaires sur M6 et directeur du magazine Inexploré.
Quand la mort arrive. |