Interview Emmanuel Giboulot, vigneron bio à Beaune : "L’obligation de traiter n’était pas cohérente avec la réalité"
Bio Info Le 7 avril, vous avez été condamné à une amende de 500 €, quelle est votre réaction et qu’allez vous faire ?Emmanuel Giboulot La portée de cette condamnation reste symbolique, mais je vais tout de même faire appel.Il est important de continuer l’action. Il ne s’agit pas pour moi d’être jusqu’au-boutiste, mais de m’appuyer sur des faits techniques pour démontrer que l’obligation de traiter n’était pas cohérente avec la réalité de la maladie sur le terrain.
B. I. Médiatiquement, vous incarnez la lutte du bio contre le système, est-ce voulu ?
E. G. Il est compliqué d’avoir une position représentative de la profession, de toutes les sensibilités. J’ai toujours dit que les pratiques des viticulteurs ont beaucoup évolué, vers un plus grand respect de l’environnement. Cela a commencé dans les années 1990, avec la démarche de l’agriculture raisonnée, qui a permis de faire changer les mentalités. Aujourd’hui, environ 13 % des viticulteurs sont désormais en bio dans ma région et les sols sont aujourd’hui très peu désherbés de façon chimique. Mon message n’est pas de stigmatiser telle ou telle communauté, mais de remettre en cause un processus de décision collectif obligatoire, qui est inadapté.
B. I. Sur quoi repose donc votre désobéissance ?
E. G. Mon refus de traitement repose sur la remise en cause de l’arrêté préfectoral et du carac- tère d’urgence invoqué pour justifier l’obligation du traitement collectif. Je trouve justifiable de pouvoir dire non si une loi n’est pas bonne.Aujourd’hui,au niveau des autorités, on est dans un schéma de pensée binaire, qui considère que la maladie implique forcément un traitement chimique. Cette voieest celle de la facilité, elle est la conséquence de la banalisation de l’utilisation des pesticides dans les pratiques culturales.
B. I. Pourtant, on compare les dangers de la flavescence dorée avec le phylloxera ?
E. G. Je ne crois pas que les dangers soient similaires. L’argument est extrême !À mon avis, ilfaut se résigner à tolérer certains foyers de maladie et vivre avec.Je ne suis pas le seul à le penser, les Suisses, par exemple, considèrent qu’il est impossible de l’endiguer complètement. La portée de ce combat va au-delà de la situation locale des viticulteurs en Bourgogne. Notre système est un système déresponsabilisant qui joue sur la peur pour empêcher toute réflexion.
B. I. En quoi les viticulteurs sont-ils déresponsabilisés ?
E. G. L’obligation de traiter est un vrai retour en arrière en termes de méthodes de lutte. Il crée un clivage entre des acteurs de sensibilités différentes. Le traitement obligatoire contre la cicadelle peut évidemment être justifié, mais pas du tout dans le cas de la Côte-d’Or ! On a fait traiter tout le département alors qu’aucun pied atteint n’avait été identifié. De plus, alors quepour lutter correctement contre les populations de cicadelles, il faut deux ou trois traitements insecticides, l’obligation ne pesait que sur une seule application, c’est inutile et incohérent. Aujourd’hui, on nous fait appliquer des traitements dans une logique de rattrapage des erreurs commises parle passé, où la prospection des pieds atteints n’avait pas été faite correctement.
B. I. Tout traitement, même bio, était-il à proscrire ?
E. G. Non, je ne m’oppose pas radicalement à toute lutte contre la flavescence. Entre deux maux, il faut évidemment choisir le moindre. Si la maladie est effectivement à nos portes, il faut mettre en place des actions collectives, mais avec quels zonages par exemple ? À Pommard, ils ont fait traiter dans un rayon de 500 mètres autour de la zone contaminée, à Meursault, c’est la totalité de la commune qui a dû traiter. Où est la cohérence ? Certes, j’aurais pu faire mon trai- tement obligatoire au Pyrevert [autorisé en bio, ndlr], mais c’est un insecticide non sélectif. Avec ce traitement, on tue une grosse partie de la faune auxiliaire, cela détruit les équilibres écologiques des parcelles et nécessite une re- construction très progressive...
B. I. Vous considérez-vous comme un lanceur d’alerte ?
E. G. On peut le dire comme ça. Aujourd’hui, grâce à mon action, les décisions vont sans doute se prendre différemment. Des collectifs de vignerons se créent pour discuter avec les organismes qui mettent en place les stratégies de lutte. D’ailleurs, si la question fait débat aujourd’hui, c’est bien parce que le terrain des idées est fertile. Le soutien de la société civile est révélateur de la prise de conscience des consommateurs sur les pratiques agricoles. Si nous, producteurs, ne prenons pas conscience de cette évolution des mentalités et ne remettons pas en cause nos pratiques,cela va finir par nous revenir à la figure.