Le sapin bio vient d’Ariège
En plein mois de novembre, un froid glacial et une pluie battante s’engouffrent dans les longues allées de l’exploitation de Michel Vuillier. À perte de vue, des sapins de Noël attendent leurs guirlandes. « C’est le temps parfait pour une bonne tenue ! » se réjouit l’agriculteur installé en plein cœur des Pyrénées ariégeoises, sur la commune de Montjoie-en-Couserans. Présentations dans les allées de la plantation : « On a de l’épicéa, le plus traditionnel, connu pour son odeur de citronnelle et de résine. On a aussi du nordmann, qui pique moins et dont le feuillage est d’un vert brillant.» Michel Vuillier est intarissable sur sa production, d’autant plus qu’elle a une caractéristique peu commune : elle est issue de l’agriculture biologique. En France, il est le seul. Une autre expérience dans le Morvan n’a pas encore abouti. Et en Europe, il n’existe que quelques exemples au Danemark, en Allemagne ou en Autriche. Voilà donc un pionnier, dont le travail est adossé à un cahier des charges précis. Ses sapins, qui affichent le logo AB, poussent sans engrais chimiques.
Un travail épineux
Aucun produit phytosanitaire n’est utilisé pour le désherbage. Tous les ans, le bureau Qualité France (qui délivre le label bio) passe la plantation au peigne fin, à travers la vérification des comptes, des prélèvements végétaux et des analyses du sol. « Du fait que ce soit assez innovant, on n’a eu aucun accompagnement technique », explique-t-il, aujourd’hui rodé après six ans de production. Pour atteindre les 50 hectares actuellement plantés, il aura fallu à Michel Vuillier une bonne dose d’inventivité, de multiples expérimentations, et un petit coup de pouce de la nature. Le sapin, en effet, n’est pas du genre fragile, plutôt rustique par nature, il accepte certaines corrections en cas de raté.
Le bio a quand même un peu compliqué la donne. Car obtenir un sapin assez touffu pour séduire le consommateur est beaucoup plus long. S’il faut compter 5 ou 6 ans pour un sapin classique, le double (entre 8 et 11 ans) est nécessaire pour un bio. Tout est question de patience. Reste ensuite à mettre en place un ingénieux système de rotation sur le long terme, pour pouvoir vendre des sapins chaque hiver et ne pas être en rupture de stock.
Pour le reste, il a fallu tâtonner, expérimenter. « Pour booster les sapins, au niveau de la forme et de la couleur, les autres utilisent des engrais. Nous utilisons des techniques de taille. On fait un travail à l’unité.» À la manière d’un viticulteur, le producteur s’occupe de chaque pied. Un travail de fourmi plus fastidieux pour la main d’œuvre, mais plus économe en produits chimiques. Même remarque pour le désherbage. Entre les sapins de Michel Vuillier, la pelouse n’a rien d’un terrain de golf ! Au contraire. Ce foisonnement d’essences poussant entre les arbres a même favorisé tout un écosystème, « parfois il nous est favorable, parfois non. Il faut faire avec. En tout cas, les chasseurs et les naturalistes sont ravis.» Entre deux plantations, l’agriculteur utilise un engrais vert, de la luzerne, qui sera fauchée avant le labour.
Michel Vuillier n’a pas toujours cultivé du sapin de Noël. Il a pendant longtemps été un classique agriculteur céréalier, après avoir repris l’exploitation familiale dans la lignée de 14 générations... Mais le poids des ancêtres ne l’a pas empêché de mener une petite révolution sur les terres familiales. « Un jour, Airbus m’a commandé un sapin de 18 mètres, car on a toujours eu des bois avec quelques sapins. Puis on m’a dit qu’il n’y avait pas assez de producteurs de sapins, que je devrais me lancer... » L’agriculteur n’a pas tergiversé bien longtemps. En 2007, il revend ses moissonneuses batteuses et ses semoirs pour acheter ses premiers plants. Aujourd’hui, il ne regrette pas ce virage radical. Pas même quand les fêtes arrivent à grand pas, et qu’il faudra couper entre 1 500 et 2 000 sapins par jour. Depuis le début des plantations, 450 000 arbres ont été plantés. Cet hiver, 20 000 autres seront prélevés mesurant de 80 centimètres à 6 mètres (ou même plus) en fonction des besoins.
Bio et locaux
L’activité de Michel Vuillier vient aussi rompre avec un a priori tenace : acheter un sapin de noël naturel contribuerait à la déforestation et au déboisement. Au cœur d’un territoire comme l’Ariège, c’est même exactement l’inverse : le bois est une ressource sous-exploitée et la forêt gagne du terrain. Il est vrai qu’autrefois les sapins étaient être prélevés dans la nature (la première mention en France remonte à 1521 !), mais de l’eau a coulé sous les ponts. Avec la massification des pratiques dans les années 1950, la production de sapins de Noël est devenue une culture agricole (et non forestière) à part entière.
Dans ce contexte, Michel Vuillier semble avoir trouvé une niche qui lui réussit. La partie commercialisation va bon train, avec la création d’une nouvelle entité, France Sapin bio, dont la vocation à terme serait d’accueillir d’autres producteurs certifiés. Pour le moment, les sapins ariégeois jouent la carte du local (l’Ariège, la région Midi-Pyrénées). Ils sont distribués aux collectivités, à des associations, des comités d’entreprises et sur les marchés. Et ils ne sont pas plus chers puisqu’il n’y a pas d’intermédiaires, « cela nous permet aussi de respecter des délais de livraison courts : les arbres sont en moyenne dans les rayons trois jours après avoir été coupés ».
Après les fêtes, une partie des arbres vendus est récupérée pour la transformer en plaquettes de bois utilisées comme combustible. Du côté de la production, l’agriculteur cherche aujourd’hui à développer ses propres semis : « Nous essayons de nouvelles espèces, l’Abies fraseri et l’Abies koreana, qui ont une superbe tenue et une odeur fantastique ! » L’objectif : atteindre 100 hectares de plantation, soit un million de sapins bio. Rien que ça.
C’est son avis
La production de sapin fâchée avec le bio ?
Sur environ 800 producteurs en France, Michel Vuillier est le seul à produire en bio. Pour Vincent Houis, animateur de l’Association française du sapin naturel, « il s’agit pour le moment d’un micro-marché ». L’explication est, selon lui, à aller chercher du côté des consommateurs. Du point de vue du grand public, l’idée d’une alimentation bio est plus facile à intégrer. Avec un produit comme le sapin, on achète bio pour respecter la terre et les écosystèmes. Un argument moins vendeur selon Vincent Houis, « cela demande un effort intellectuel supplémentaire, un peu comme le coton bio. C’est un produit qui s’adresse à des personnes bio-convaincues ». D’autant plus que le sapin naturel est déjà engagé dans la bataille contre son cousin artificiel en plastique, le plus souvent fabriqué en Chine. Le passage au bio sera peut- être la prochaine étape.
(Photo ©Anne-Sophie Terral : Michel Vuillier avec Hortense Rigail, attachée commerciale de France Sapin Bio.)
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