Hiberner
Signer la dernière pétition contre le Tafta, commander ces boîtes en crottin d’éléphant recyclé trouvées sur internet, demander au professeur Joyeux ce qu’il pense de l’heure d’hiver, lire l’article de Plantes & Santé sur les plantes chamaniques, et le dossier de Biocontact sur Hildegarde de Bingen. Tester la recette de cookies moelleux de Valérie Cupillard, écrire à la marque Tassimo pour demander quand elle compte mettre en place un programme de recyclage de ses capsules en plastique d’un centimètre d’épaisseur, appeler Emmaüs et Recyclivre, noter la soirée du 4 novembre pour regarder « Sacrée croissance » sur Arte, transmettre cette annonce du site Emploi Vert à mon amie qui pointe à Pôle emploi. Je suis débordée. Le monde est trop grand. Connectée à tout, je me sens menacée de déconnexion à moi-même.
Et encore. Si j’avais eu la possibilité de faire tout ça hier soir, comme je l’aurais voulu, c’eût été un luxe. Nous sommes débordés rien que pour satisfaire nos besoins essentiels. Nous nourrir, travailler (et ceci pour cause de cela), dormir, essayer de rester attentifs à ceux qu’on aime... D’autant plus débordés qu’en temps de crise, tout est plus cher : l’argent, le temps, l’énergie. L’espace lui aussi prend une autre valeur. Un mètre carré dans une grande ville... De là où je vous écris, j’ai la chance de marcher la plupart du temps seule sur les trottoirs. Un luxe que je savoure avec délectation.
Et s’il y avait dans notre vie mille autres petits luxes comme celui-ci, qu’au lieu de vouloir écraser de préoccupations démesurées, nous apprenions à goûter ? Et si la rentabilité n’était pas là où nous la cherchons ?
Parfois, je rêve de pouvoir encore attendre une lettre (pour l’instant, je n’attends que les mots d’amour du Trésor Public). De noter une date de dîner des mois à l’avance sur mon agenda en recevant un carton d’invitation (par la Poste!). D’attendre de déplier le journal autour d’un café pour savoir ce qu’il s’est passé la veille. Bref, d’étendre le temps. De l’étirer à la mesure de mes pensées intérieures, au rythme des lentes et douces évolutions que réclame un cœur d’humaine. Je rêve encore de m’éclairer à la bougie quelques heures le soir, pour laisser la mélatonine faire son boulot tranquillement et ainsi mieux m’endormir.
Étirer le temps pour se concentrer sur chaque instant. Ralentir. Écouter. Voir. Entendre ses pensées naître, s’envoler, se déformer et se transformer pour laisser place à d’autres. Comme les nuages. Laisser ses hormones vivre à leur rythme. Non, tout ça ne devrait pas être un luxe.
C’est d’ailleurs ce que l’hiver va nous aider à vivre, si on y met un peu du nôtre pour faire le tri entre l’utile et l’inutile, pour répondre à nos besoins prioritaires avant de nous donner mille autres objectifs. Bien dormir, ça vaut de l’or. Prendre le temps de voir et d’écouter, c’est payant. Carburer aux cinq sens plutôt qu’au café et à la lumière des écrans, ça rend l’énergie.
Il y a quelques jours, je déplorais l’arrivée du froid, aujourd’hui je prends conscience que son retour, avec le grand ralentissement qu’il annonce, est une immense chance. Un de ces luxes à savourer. Et le premier, ici et maintenant.
Se recroqueviller dans ses limites. Cet hiver, fermer les fenêtres de notre ordinateur. Réchauffer son intérieur. Méditer, prier, sentir. Écouter le souffle de notre être de chair comme on écoute la bise qui vient sans rien nous demander. Cet hiver, faire la marmotte ! Laisser les nouvelles dehors pour un temps. Faire du feu dans notre cœur, pas à l’extérieur.
L’hiver est une leçon d’humilité. Un rappel de nos limites. Efforçons-nous de ne pas le vivre comme un été.
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