Une humble résistante
Chaque année, je me réjouissais de voir arriver, parmi les participants à la Journée, organisée à Woluwe-St-Pierre, cette petite dame toute menue, très coquette, au regard vif : Madame Krochmal. Toujours un petit mot d’encouragement, elle s’inquiétait de ma santé et de celle de ma gentille et jolie fille.
Au fil des ans, j’avais pu mettre un prénom devant son nom, Régine, un nom de rue, là où elle vivait, mais difficile de lui attribuer un nombre d’années. Bien sûr, les dernières fois, elle s’aidait d’une canne, mais son caractère enjoué cachait sans doute bien son âge biologique. Que lui avait réservé la vie pour être aussi rayonnante ?
La réponse m’est venue assez brutalement, le 11 mai dernier. Une de ses amies me prévenait par écrit : Régine Krochmal avait quitté notre monde. Aucune hésitation pour moi, un réel besoin de lui dire un dernier adieu. Le cimetière d’Ixelles s’inondait du soleil de printemps, cet après-midi-là. Devant la fosse prête à l’accueillir, ses proches, ses amis rassemblés témoignaient tous de la traversée généreuse de Régine, sur cette Terre. Je découvrais stupéfaite la vie de cette petite dame si humble. Plus les épisodes de son existence défilaient, plus je regrettais de ne pas avoir tenté de mieux la connaître, consciente d’avoir raté une très riche rencontre.
Née à La Haye de parents germano-autrichiens, Régine Krochmal, juive laïque, est une de nos héroïnes de la Résistance, durant la Seconde Guerre Mondiale. Arrêtée le 20 janvier 1943, elle est embarquée, avec 1600 autres déportés, dans le fameux 20e convoi, vers Auschwitz. Convoi bloqué en rase campagne par 3 Résistants. Après avoir scié les barreaux de son wagon, Régine s’en échappe. De retour à Bruxelles, elle reprend ses activités dans la Résistance avant d’être à nouveau arrêtée et torturée à Breendonck puis libérée par les Alliés, en septembre 1944. Pendant des années, je me suis efforcée de ne pas me souvenir. Aujourd’hui, c’est impossible. Il faut raconter pour que le souvenir du courage, contre l’horreur, ne soit jamais oublié.
Après la guerre, ce n’est pas un hasard si, émigrée aux États-Unis, elle entreprend une formation en psychothérapie, elle qui avait choisi les études de sage-femme, avant la déclaration de guerre. Sa vie durant, cette humaniste empreinte de modestie n’a cessé de se consacrer aux autres, soignant les dépressions, les blocages, les phobies. Cette haine des Juifs, subie pendant des années, elle a réussi à la transformer en véritable amour universel : La vie est amour et nous sommes tous aimés. Pourtant, ses proches témoignent, à plus de 90 ans, jusqu’à ses derniers jours, Régine se reprochait encore de ne pas avoir suffisamment appris à aimer !
Apprentissage superflu pour vous, chère Régine, vous étiez Amour.