Changer ses modes de consommation
Si ce n’est son origine familiale, rien ne prédisposait vraiment Philippe de Pas à diriger un magasin bio dans le centre-ville d’Arras. Ni sa carrière de trente ans comme cadre dans l’industrie lourde de la région, ni une famille de six enfants lui laissant peu de temps pour s’attacher aux petits détails du quotidien. Le contexte économique non plus, pour un homme réaliste et habitué à la férocité des grandes entreprises : « Le département du Pas-de-Calais est l’avant-dernier en terme de surface agricole utile exploitée en bio : 0,44 % en 2010. » Les terres du Nord-Pas-de-Calais sont riches, donc propres à la culture intensive. Résultat : « Il faut encore un tas d’arguments ici pour convaincre de consommer bio les gens sont réticents et la reconnaissance pour l’agriculture conventionnelle bien ancrée. » Devient-on directeur de magasin bio par militantisme écologique ? Philippe de Pas, ancien conseiller municipal de droite à Marcq-en-Barœul, n’a pas exactement le profil. Non, sa décision d’ouvrir une Biocoop de 300 m2 à Arras en mars dernier, répond à une prise de conscience progressive. Jalonnée de ces signes que le destin envoie aux tempéraments qui savent tirer les leçons de la vie.
« Il y a vingt-deux ans, mon épouse a été atteinte d’allergies accompagnées d’un asthme grave qui l’ont conduite pour une semaine à l’hôpital, enceinte de notre sixième, raconte son mari. Elle a décidé de prendre sa santé en main : fini la Ventoline, la cortisone et toutes ces saletés qui détruisaient sa santé. » Marguerite de Pas s’est tournée vers les produits naturels, pour arriver à un sevrage complet des médicaments lourds au bout de cinq ans. « Aujourd’hui, nous arrivons à soigner nos trois enfants allergiques avec des compléments, notamment notre fille de 26 ans, chez qui on a découvert des intolérances alimentaires en nombre, lorsqu’elle avait 20 ans. » Philippe et Marguerite de Pas mettent aussi toutes leurs connaissances au service de leurs clients. « Un sur trois d’entre eux vient avec un petit problème de santé ; parfois rien qu’en recommandant de consommer du pain de petit épeautre à la place de la baguette industrielle, les choses vont mieux. »
Mais il en fallait encore plus au couple pour prendre le risque commercial qu’ils ont pris il y a un an. « Créer une Biocoop, ce n’est pas idéal pour les ASSEDIC après 35 ans de carrière », plaisante Philippe de Pas. « C’est usant et peu rentable, mais j’y ai mis tout mon cœur et je ne regrette rien. »
Dépollution à l’argile
Déjà dans les années quatre-vingt-dix, alors chargé des finances d’une papeterie de l’Aisne, il s’était laissé convaincre de la nécessité d’investir dans une station de traitement de l’eau. « Une des premières stations d’épuration… » En 2004, ainsi acquis au bio pour des raisons de santé, Philippe de Pas est embauché par Suez Environnement comme directeur financier de l’opération de dépollution du site Metaleurop de Noyelles-Godault. « Cette usine transformait du plomb et du zinc, dont la chute des cours mondiaux a conduit à sa fermeture en 2003 », pose le directeur de Bio en Artois, alors aux premières loges pour découvrir le résultat d’un siècle et demi de rejets de plomb, de cadmium
et de zinc dans les sols, sur des centaines d’hectares. « On a extrait des sols plus de 10 000 tonnes de déchets dangereux pour la santé publique environnante, et près de 180 000 tonnes de déchets banalisés qui ont été enterrés dans des alvéoles de craie et d’argile. » « Il a fallu éliminer 8 000 tonnes de tôle amiantée et de pierrailles remplies de poussière de plomb ; chaque jour, on sortait une tonne de poussière de métaux lourds », raconte Philippe de Pas, qui y a vu aussi un encouragement : « Avec Noyelles-Godault, on a découvert à quel point on avait pu polluer, mais aussi qu’il était possible de dépolluer. »
L’écologie, au-delà des partis politiques
« Cette expérience m’a ouvert les yeux sur la quantité de déchets industriels produits pour notre propre consommation », raconte encore l’ancien cadre, qui a vite fait le lien avec la santé : « Aujourd’hui, je voudrais, à ma petite échelle, faire changer les habitudes. » Philippe de Pas n’est pas devenu militant des Verts, mais, à quelques semaines de l’échéance présidentielle [nous l’avons rencontré en mars], il avouait se poser encore de nombreuses questions en regardant les programmes des deux partis majoritaires. « L’écologie devrait transcender les clivages politiques ; si on bâtissait vraiment une économie verte, on aurait nos emplois… » Côté offre en produits bio, son message est plutôt positif : « Dans cinq à dix ans, il est bien probable que chaque ville de 50 000 habitants ait sa surface de 300 m2. » À Arras, c’est fait.