« Maintenant, sauvons l’agriculture ! »
Croissance verte, économie solidaire, éco-innovations, gestion durable, circuits courts… Ces mots semblent dessiner un avenir radieux pour le développement durable. Ils correspondent à des politiques, à des orientations sociologiques, à des chantiers, à des investissements massifs… bref à de vraies convictions et au souci, désormais collectif, de la planète. Rien qu’à l’échelle de notre région (oui, la mienne aussi ! il se trouve…), l’économie de l’environnement représente 18 000 emplois, 60 labos et 400 chercheurs, 600 entreprises… Le Nord-Pas-de-Calais pèserait ainsi 11 % du chiffre d’affaires national de ce secteur. Dame !
Même si cette vague verte draine de nombreuses scories et que les entreprises et les collectivités y surfent plus souvent par démagogie ou par goût du profit que par réel altruisme social, les progrès sont là. Avec nos calculs de CO2 et nos champs d’éoliennes, on brasse pas mal d’air, mais on brasse aussi des idées pour l’avenir. Et si la croissance reste tournée vers le profit immédiat au détriment d’une justice qu’on voudrait étendue au monde, les innovations qu’elle favorise nous aident à prendre peu à peu des habitudes moins polluantes, plus économes en énergie et donc plus justes. Tant mieux.
Mais ne soyons pas naïfs. La longue crise énergétique que nous traversons, avec la ressource pétrolière comme élément cristallisateur, n’est pas pour rien dans cette évolution. Voilà pourquoi plus personne ne doute aujourd’hui de l’avènement proche des biocarburants, de l’énergie solaire ou de la haute qualité environnementale généralisée dans le bâtiment.
Le combat parallèle que nous menons pour une agriculture elle aussi durable, sera beaucoup moins facile. On le voit bien, ni la peur de la maladie ni la demande qu’elle génère en produits bio ne suffisent pour l’instant à amorcer le changement que l’on observe aujourd’hui en matière d’énergie, de dépollution industrielle, de traitement de l’eau et de réduction des déchets.
C’est qu’il y a beaucoup moins de profits à faire. C’est aussi que les subventions n’ont pas besoin d’être réclamées : elles pleuvent déjà sur l’agriculture à tel point que celle-ci en meurt. Dans le domaine de la production agricole, le changement réclamera plus de liberté. Plus de courage pour défendre une évolution qu’aucun intérêt financier immédiat ne vient soutenir. Les voix qui défendent l’agriculture biologique – celles de Pierre Rabhi ou de Jean-Marie Pelt (dans les pages de ce numéro) – sont plus pures. Nécessairement plus alarmistes aussi.
À raison. L’espérance de vie croissante et la performance de notre médecine ne peuvent plus nous consoler du constat que notre nourriture est devenue aussi pauvre que nos terres. Les agriculteurs, tout silencieux qu’ils sont, sont d’ailleurs les premiers à en pâtir. Certains commencent à le dire : ils souffrent ne plus produire pour nourrir, de ne plus avoir de lien physique avec leur terre, mais aussi des maladies contractées, de plus en plus nombreuses et ignorées de leur mutuelle, au contact des produits toxiques. Ils souffrent enfin d’être noyés dans un système qui leur impose, en grammes, en centimètres, en litres, en euros et en centimes, la moindre décision quotidienne. Un agriculteur ne prend plus de décision : il obéit à un système à la tête duquel on commence tout juste à se rendre compte qu’il a perdu les pédales. Et qui, loin de tirer les autres pays vers le haut, nous rend pour finir coupables d’injustices grandissantes dans le monde.
Combien de cancers faudra-t-il pour que nous mettions fin à cette souffrance collective ? Pour que nous rendions à ceux qui travaillent la terre, parfois depuis des générations, l’usage de leur bon sens et de leur liberté ? Dans ce domaine, la peur de la maladie pourra-t-elle jouer le même rôle que notre peur de manquer de pétrole soutenue par des enjeux financiers considérables ?
Il était facile de créer le « développement durable » : celui-ci était soutenu par de vastes enjeux économiques. Dans notre combat pour une agriculture sans chimie, il nous faut être bien plus désintéressés. Bien plus humains. Bien plus sévères aussi. Il y a certes quelques procès gagnés contre Monsanto, une médiatisation de plus en plus offensive (cf. « Le Livre noir de l’agriculture », des documentaires comme « L’adieu au steak » ou « La mort est dans le pré »…) et une demande croissante en produits bio de la part des consommateurs. Mais il y a encore des milliers d’hectares à convertir, des milliers de cultivateurs à soutenir (ou plutôt à libérer), des chaînes de production entières à monter, et surtout notre façon de considérer la vie à revoir.