La nature mieux que l’artifice
Ce qui nous attendrit enfants nous laisse parfois amers adultes. Ainsi en est-il des zoos, qui offrent un spectacle que je trouve chaque année un peu plus pathétique. Qui d’entre vous ressent vraiment de la joie à parcourir ces dédales de cages aux décors de carton-pâte, remplis d’animaux sous calmants et atteints, pour un grand nombre, de comportements maladifs ? C’est lors de ma dernière visite dans ce genre de parc d’attraction, à Barcelone, que je me suis réellement interrogée sur mon sentiment.
D’abord amusée par les gros derrières flottants des hippopotames à la peau luisante comme celle des aubergines, par l’apathie des girafes, trop grandes pour s’affoler de nos manœuvres, et par des singes espiègles et surexcités… j’ai terminé cette balade dans une impression dominante de tristesse. Choquée devant l’ours brun du zoo, qui se frappe la tête d’une patte à intervalles réguliers en tournant en rond dans sa fosse artificielle, j’ai presque ressenti de la rage devant le léopard pris lui aussi de TOC dans sa cage trop étroite. Et finalement aussi devant l’eau trouble et fangeuse des animaux aquatiques, et devant les vitres blindées auxquelles se heurtent les singes.
Tout ça pour quoi ? Jusque-là, je pensais, comme vous peut-être, que les zoos, qui sont nombreux à participer à des programmes de sauvegarde d’espèces menacées, étaient en eux-mêmes des lieux de conservation. Une sorte de bibliothèque internationale de gènes. Il n’en est rien (ou pas grand-chose) : selon l’International Zoo Yearbook, on ne trouve dans les zoos du monde que 120 des 5 920 espèces sur liste rouge, dont 16 % ont fait l’objet d’essais de réintroduction dans la nature, avec un résultat… dérisoire.
Ensuite, les animaux prétendument « conservés » font l’objet d’une probable dérive génétique. Ils sont le fruit de naissances programmées et d’échanges entre structures. Frappés de consanguinité et incapables de se réadapter à leur biotope d’origine, ces animaux de musée constituent presque une espèce à part.
Dès lors, l’argument pédagogique soutenu par les zoos tombe aussi dans la mare aux hippos. Montrer à des enfants un ours polaire dans un aquarium en train de dévorer sa viande préparée sur une banquise en béton, abattu par les 35 °C d’un été espagnol, c’est lui mentir. En revanche, nos enfants, comme nous, ne connaissent pas la moitié de notre faune indigène. Problème !
Je ne sais pas si je boycotterai le zoo lors de mon prochain voyage, mais je suis désormais bien sûre de souhaiter la fermeture de la plupart d’entre eux. Cela peut paraître radical, mais en une vie, on ne peut pas tout connaître et tout voir. Ainsi tant mieux si certains ont la chance de voyager et de rencontrer des animaux exotiques. Pour nous autres… tant pis. Je préfère admirer un koala en pleine nature qu’au zoo de Beauval, dans le Loir-et-Cher, où ce pauvre marsupial fait des séances d’UV à cause du manque d’ensoleillement. Un panda de Chine n’est pas fait pour voyager en avion ! Au passage, notez bien que ceux qui séjournent dans le décor de pagodes et cascades de Beauval nous coûtent pas moins de 750 000 € par an de location à la Chine. Dans cette mise en scène, ce n’est pas tant le business qui me choque que l’artifice. L’enthousiasme des curieux qui ont gardé un esprit d’enfant me choque moins aussi que l’apathie de ces bêtes névrosées, qui auraient gardé toute leur splendeur dans leur milieu naturel.