Slow food : reprendre le chemin du goût
Fondé par le critique gastronomique italien Carlo Petrini, le mouvement Slow Food s’oppose à la culture du fast-food en prônant, depuis 1986, le retour à la localité, au goût et à la saisonnalité des produits alimentaires. « Bon, propre et juste » est sa devise. Plaisir, culture, terroirs et traditions sont les mots clés de son art de vivre.
Pourtant, en vingt-sept ans, ce club international de gas- tronomes symbolisé par un pacifique escargot est devenu l’un des fers de lance les plus efficaces de la lutte pour la biodiversité, souvent aux côtés d’autres mouvements comme les Colibris ou le mouvement pour la réforme de la PAC. Slow Food, qui s’appuie sur un maillage de « conviviums », antennes locales attentives chargées de goûter, échanger, se réunir, mais aussi de recueillir des informations et organiser des événements, possède ses propres armes. L’Arche du goût, une liste de plus de 1 100 denrées menacées par la standardisation agroalimentaire, à sauver du « déluge » de la malbouffe, et les Sentinelles, pro- duits auxquels le mouvement offre une réelle protection. Plus versé dans l’action et la convivialité que dans l’ins- titutionnel et les belles paroles, Slow Food dédie à chacune de ces Sentinelles le projet de sauvegarde ou de relance qui lui convient, avec le but clair de la voir retrouver le chemin de nos assiettes.
« Notre but est que le produit retrouve un marché », explique Armelle de Saint Sauveur, vice-présidente de Slow Food Bastille, à Paris. « En fonction des territoires et des régions du monde, les projets consistent à promou- voir les produits lorsqu’ils sont peu connus, à organiser entre eux et soutenir les producteurs, à faire renaître un savoir-faire local grâce à de la formation, à promouvoir des débouchés économiques, parfois à défendre une ethnie de certaines menaces », résume la responsable, dont l’équipe planchait en 2013 sur le cresson de l’Essonne, « un produit artisanal dont la pro- duction demande un savoir-faire traditionnel très particulier ».
400 sauvetages
L’Arche du goût, créée en 1996, est donc en quelque sorte l’antichambre des Sentinelles. Le lieu où l’on documente, par convivium et comités nationaux interposés, les savoir-faire, cultures, élevages, espèces et techniques de production menacés. Avant d’en faire de vraies Sentinelles du goût. Développées d’abord en Italie où la méthode a fait ses preuves, les Sentinelles sont aujourd’hui plus de 400 dans le monde. En France, on en dénombre 15 à ce jour. « C’est paradoxalement peu pour un pays comme la France », souligne Armelle de Saint Sauveur, qui explique ce fait par une habitude déjà bien ancrée de protéger les trésors de la gastronomie locale, et une notion de terroir acquise.
Parmi les Sentinelles françaises on trouve ainsi le petit épeautre de Haute-Provence, dont le soutien du mouvement, en 2005, a contribué à la création d’une IGP deux ans plus tard. On trouve aussi le rancio sec du Roussillon, un vin de fort degré dont les pro- ducteurs, réunis en association depuis 2004, sont soutenus par Slow Food pour obtenir une clarification réglementaire et sauver ainsi leur savoir-faire, la lentille blonde de Saint-Flour, cultivée à nouveau grâce à quelques spéci- mens conservés par une famille. On y trouve également le porc noir de Bigorre, la Sentinelle la plus emblématique de l’action de Slow Food en France. Pour ce porc de type ibérique, qui serait le plus ancien connu dans notre pays, a été créé le Consortium du noir de Bigorre, une association regroupant 55 éleveurs, 3 salaisonniers, 2 artisans charcutiers et 2 conserveurs.Tous engagés dans le respect d’un cahier des charges strict.
L'huitre née en mer, sentinelle de l'Ouest
En 2008, Slow Food France a créé quatre Sentinelles : la poule gasconne, la brousse du Rove, un fromage de chèvre provençal dont l’aire de production s’étend aux Bouches-du-Rhône, au sud du Vaucluse ainsi qu’à l’ouest du Var, le bœuf nacré de Gascogne et les fromages d’estive des Pyrénées béarnaises. Deux autres ont été consacrées en 2010, une année plus tournée vers l’Ouest : la vache bretonne pie noir et le chou de Lorient. L’année suivante, ce sont les huîtres bretonnes nées en mer (labellisées « Ostréiculture durable et solidaire ») et les fromages d’Auvergne au lait de race Salers qui sont devenus Sentinelles. Le mouvement, très actif dans le Sud-Ouest, travaille actuellement à la relance d’autres produits parmi ceux qui sont catalogués dans l’Arche.
Un panier précieux dans lequel on trouve encore la pêche roussanne de Monein, la cerise d’Itxassou, le haricot de Soissons, un piment d’Espelette AOP bio, la poule de Barbézieux (décimée dans les années soixante par l’arrivée de l’aviculture intensive et sauvée dans les années quatre- vingt-dix), la poule noire d'Alsace encore l’agneau de l’estuaire de Gironde. Sur le chemin des Sentinelles, que nos papilles soient les meilleurs guides.
Histoire
Un cochon français sauvé de l’oubli
On comptait, dans les années trente, 28 000 reproducteurs de race noire de Bigorre, mais quelques centaines seulement en 1970. Le porc noir de Bigorre se perdait aussi par métissage. En 1981, le recensement de 34 truies de race pure par quelques techniciens et éleveurs a permis de sauver la race.À la fin des années quatre-vingt, elle demeurait encore en sursis, faute de viabilité économique pour ses défenseurs. Depuis 2004, le porc noir de Bigorre est une Sentinelle Slow Food. Son jambon a remporté la médaille d’or du dernier concours général agricole. Info : www.noirdebigorre.com.
TOUR DE FRANCE SLOW FOOD
Les quinze Sentinelles françaises :
La brousse du Rove
Le porc noir de Bigorre
Le rancio, vin sec du Roussillon
La lentille blonde de Saint-Flour
Le navet noir de Pardailhan
Le mouton de Barèges-Gavarnie
Le pélardon affiné
Le petit épeautre de Haute-Provence
La poule gasconne
Le bœuf nacré de Gascogne (race mirandaise)
Les fromages d’estives des Pyrénées béarnaises
La bretonne pie noir
Le chou de Lorient
Les huîtres bretonnes nées en mer
Les fromages d’Auvergne au lait de race Salers
Pour en savoir plus :
Le site de Slow Food : www.slowfood.fr
À lire : « Bon, propre et juste. Éthique de la gastronomie et souveraineté alimentaire », de Carlo Petrini, traduit en français, éditions Yves Michel, 2006.
« Slow Food, manifeste pour le goût et la biodiversité », de Carlo Petrini, préface de Jean Lhéritier, président de Slow Food France, éditions Yves Michel, 2005.
Pour se procurer les produits de l’Arche et les Sentinelles, voir la boutique en ligne www.legoutestdanslepre.fr.