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À langue appauvrie, palais trompé

À langue appauvrie, palais trompé

Français, Françaises, la bêtise est aux portes du palais! Pas la bêtise gentillette, mais la bêtise bête à pleurer. Si la viande, à son tour, se met à « parler la même langue que nous », comme le propose la réforme de l’étiquetage des pièces de boucherie en supermarché, il fallait s’attendre au pire. Fini la bande de macreuse, l’aloyau, le collier, la souris. Un décret permet depuis le 13 décembre aux industriels d’étiqueter « blanquette trois étoiles à mijoter » à la place de « bas de carré collier » et de remplacer « tende de tranche » par « steak *** à griller ».

Ce ne sont que des exemples. En tout cas, une belle façon d’uniformiser et d’appauvrir encore un peu plus notre assiette par le biais du langage, rapporté au niveau de celui d’un enfant de 4 ans. À cet âge, on me l’a raconté cent fois comme savent le faire les parents..., j’avais corrigé les adultes présents avec moi à table : « Non, ce n’est pas du rôti : c’est de la viande.» J’avais raison. Pourquoi ne pas inscrire « viande » sur tous les emballages ? Ce serait tellement plus simple et démocratique.

Certains penseront peut-être que c’est bien fait pour la viande, qui n’est plus de la viande. Je pense le contraire : la médiocrité n’a jamais rien sauvé, ni personne. Elle n’a pas sauvé la santé quand on a voulu simplifier la compréhension des pathologies pour mieux vendre des médicaments. Souvenez-vous, un jour, le mot « dépression » a remplacé à lui seul toute l’échelle de sentiments négatifs que peut connaître un cœur humain, de l’affliction à la désolation en passant par l’acédie, la tristesse... Fini l’atrabilaire et l’aboulique. Les antidépresseurs sont au plus fort des ventes aujourd’hui en France. La débilité ne sauvera donc ni les éleveurs déjà aux prises avec la réglementation européenne, ni nous-mêmes, consommateurs en cours d’appauvrissement.

Les professionnels de la boucherie industrielle, inquiets de la baisse des ventes, ont ainsi inspiré à l’État cette simplification des étiquettes dans les supermarchés, dans la même veine que les étiquettes de couleur de Marisol Touraine... Imaginons un instant cette simplification dans le monde de la couture. « Pull du soir en tissu trois étoiles » pour un cardigan brodé haute couture. « Manteau deux étoiles pour aller travailler ». Fini la martingale, la surjeture, le pli religieuse. Ou dans le monde du vin... « Vin blanc une étoile » pour le cubi de vin de table, « vin très très bon » pour le bourgogne biologique... La cuisine, comme la viticulture et la couture, est un des points forts de notre savoir-faire. Et son vocabulaire, ce qui nomme la complexité de ces savoirs. Mais il faut rendre les consommateurs bêtes comme des ânes à qui on pourra vendre tout et n’importe quoi. Faire disparaître la saveur des mots comme le goût des aliments. Je ne vais pas vous ressortir « l’excellence française »... À quoi bon ? On a compris en tout cas que, mal en point, l’État avait décidé de l’achever comme un chien accusé de la rage.

S'il s’agit de sauver la mauvaise barbaque de nos critiques, de nous interdire de goûter, de donner notre avis, de poser des questions sur l’origine et les pratiques d’élevage... on réalise l'importance du langage dans l'exercice de notre citoyenneté. Bon miam miam, toi pas poser questions. À quand les smileys, encore plus « simples » et compréhensibles par tous ? Les bouchers de ville, qui veillent comme des gardes avertis, font barrage au pas de leur boutique à cette novlangue insipide. Une raison de plus d’éviter les supermarchés.

 

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