Fukushima : les contrôles à l’importation se relâchent
Dans la préfecture de Fukushima, réputée pour la qualité de ses produits biologiques, la vie tente de reprendre doucement son cours depuis le tsunami et la catastrophe nucléaire du 11 mars 2011. Mais la peur de la radioactivité ne s’est qu’en partie diluée avec le temps. À la presque quatrième génération de végétation depuis l’accident, les radioéléments sont loin de s’être volatilisés, malgré les travaux titanesques entrepris depuis 2012 par les autorités : maisons passées au karcher, arbres abattus et terre creusée sur cinq centimètres.
« La réalité, c’est qu’on ne sait pas décontaminer », affirme le Pr Hiroaki Koidé, spécialiste de l’atome. Ce Gandhi japonais milite depuis quarante ans pour l’arrêt du nucléaire. La contamination, mise en sacs et en décharges, revient en effet aux premières pluies ou au gré des caprices de la centrale, toujours hors de contrôle depuis l’accident. Et qui continue de fuir…
Des « normes » pour accepter le risque
Pour être exportables, les produits japonais doivent pourtant respecter des normes admissibles de radioactivité. Des normes fixées à 100 becquerels/kg pour les aliments pour adultes, depuis 2012 par le Codex Alimentarius afin de préserver les intérêts du commerce mondial, même en cas de contamination nucléaire accidentelle de la nourriture humaine ou animale par le césium.
« Les normes ne sont qu’un critère administratif que l’on donne à croire scientifique. Rien à voir avec une limitation de vitesse qu’il suffirait de respecter pour conduire en sécurité ! », précise Yves Lenoir, président des Enfants de Tchernobyl Belarus. Avec les radioéléments, le problème est l’accumulation biologique. « En mangeant des produits contaminés, on augmente peu à peu la radioactivité interne du corps, explique ce scientifique. Or certains organes la concentrent jusqu’à dix fois plus que la moyenne corporelle, ce qui peut provoquer des lésions au bout d’un certain temps d’intoxication chronique. »
Les contrôles limités
Or le nouveau règlement européen adopté le 1er avril 2014 relâche la bride sur les produits nippons : il n’exige plus de certificat d’analyse de conformité aux normes de radioactivité, sauf pour les champignons, dont on sait qu’ils accumulent les radioéléments, ainsi que pour les produits provenant de la préfecture de Fukushima, qui continue d’avoir mauvaise presse.
Pourtant, la contamination s’est étendue bien au-delà de Fukushima. Aux alentours de Tokyo, par exemple, à 225 kilomètres de la centrale. « Nous continuons d’analyser la nourriture, explique Wataru Iwata, cofondateur du CRMS, organisme citoyen de mesure de la radioactivité, or nos appareils décèlent des traces de contamination souvent loin de Fukushima ! ». De plus, le règlement européen prévoit l’allégement des contrôles douaniers, le Japon ayant su gagner la confiance de l’Union avec, ces deux dernières années, moins de 1 % de produits non conformes détectés. Produits de la pêche, plantes sauvages comestibles, légumes, fruits, riz et soja, produits dérivés (bière, tofu, sauce soja, umeboshi, thé) sont désormais exportés sur la seule bonne foi des autorités nippones.
Les importateurs restent confiants : « À Saitama, au nord-ouest de Tokyo, ils n’ont pas eu de chance », rappelle Esther Miquel, gérante de la société Koedo, qui ouvrira un restaurant de bento japonais en janvier à Issy-les-Moulineaux (92). Certes, seules les montagnes ont été touchées par le nuage, mais toute la préfecture a été considérée comme contaminée. C’est justement dans cette province que se trouve le producteur « de la plus délicieuse des sauces sojas », selon elle. Depuis 2012 qu’elle traite avec lui, elle assure que « tous les lots sont assortis des certificats d’analyse qui garantissent le respect des normes de radioactivité ».
L’épicerie fine Workshop Isse, à Paris, semble de son côté ne pas être au courant de la nouvelle réglementation, tout en certifiant n’importer que du contrôlé. Foodex, un importateur de produits japonais, n’a pas pris la peine de nous répondre.
(Photo : Wataru Iwata, cofondateur du CRMS, organisme citoyen de mesure.)
Bilan
Du césium dans l’océan
En mars 2011, l’explosion de trois réacteurs nucléaires à Fukushima, équivalente à 168 fois la bombe d’Hiroshima, a formé un nuage noir gigantesque de particules radioactives dont, « par chance », la plus grande partie (84 %) est retombée dans l’océan Pacifique, le reste se déposant en taches de léopard suite aux pluies et neiges de saison sur près de 14 000 km2 de terres dans l’archipel. Bilan : outre la préfecture de Fukushima, treize autres préfectures japonaises ont été touchées, sur les quarante-sept que compte le pays. Quant à l’océan, le césium s’y serait tout simplement dilué ou bien tombé au fond, là où les poissons ne vont pas… C. D.
La France laxiste ? La France a signé en mai 2014 avec le Japon un accord pour un « rapprochement des économies et de la croissance », se déclarant même prête à une révision des normes concernant la radioactivité des produits japonais, dont les aliments. Dénoncé aussitôt par Europe écologie Les Verts (EELV), ce point revient dans l’actualité : le 16 octobre 2014 , la sénatrice PS du Haut-Rhin, Patricia Schillinger, a interpellé le gouvernement, qui n’a pas encore répondu…
À lire sur notre site :
Le Japon sans nucléaire (juillet 2012)
Le film de Jean-Paul Jaud, "Libres!", disponible en DVD (septembre 2015)