Cuire sans nuire

PUBLIÉ LE 13 mai 2014

Choisir des aliments bio ne suffit pas : encore faut-il savoir les cuisiner sainement. Lors de la cuisson, gare à la montée en température, mais aussi aux matériaux toxiques qui contaminent indubitablement notre gastronomie. Le point sur les modes de cuisson les plus sains et les accessoires à privilégier.

 

Imaginez-vous n’avoir le droit de cuisiner que les jours impairs ? C’est ce qui risque d’arriver prochainement aux habitants de Pékin (Chine), exposés depuis des années à une pollution atmosphérique considérable. Une pollution dont la cuisine, et en particulier, celle qui est faite au wok, serait en partie responsable ! Ce n’est pas une plaisanterie. Le directeur du bureau des Affaires étrangères chinois, Zhao Huimin, a fait cette très sérieuse déclaration en octobre dernier : « Quand nos villes s’agrandissent, la cuisine chinoise, par exemple, contribue aux émissions de microparticules dans l’air ! »


Pollution culinaire

En cause, la technique du chaofan, qui consiste à faire sauter riz, nouilles et légumes dans le wok à très forte température. Cette pratique serait polluante, mais probablement tout de même moins que le diesel (!). À l’été 2013, Wang Yuesi, chercheur à l’Institut chinois des sciences, évaluait la pollution d’origine culinaire à seulement 15 à 20 % de la pollution totale... ce qui n’est tout de même pas rien.Voilà qui montre que l’acte de cuisiner est loin d’être un acte neutre !On le savait depuis longtemps. Au sens primordial du terme, cuisiner n’est-ce pas maîtriser le feu et cuire ? Une action essentielle dans l’évolution de l’espèce humaine : « La cuisson est une prédigestion », comme le rappelle le paléoanthropologue Pascal Picq dans le passionnant documentaire de Cécile Denjean « Le ventre, notre deuxième cerveau ». Outre ses effets immédiats sur l’environnement, la cuisson permet au ventre de digérer sans encombre, et ainsi de libérer le cerveau « du haut », qui peut dès lors penser, rêver et créer...L’histoire commence donc il y a 400 000 ans, quand l’homme commence à maîtriser le feu et à cuire la viande de ses proies : se détachant mieux des carcasses, la viande cuite, plus digeste, est aussi plus saine puisqu’elle contient moins de parasites. Faisant confiance à son palais, l’homme met au point divers modes de cuisson et recettes de cuisine : pains puis pâtisseries cuits au four, légumes à l’eau, viandes rôties ou saisies à la poêle, cuisson à la vapeur, à l’étouffée, à la cocotte-minute, au four, au micro-ondes... autant de méthodes qui per- mettent de s’accommoder de tous les comestibles. Mais, peu à peu, nous voici en train de découvrir, avec les avancées de la science, que la cuisine peut être dangereuse pour la santé...


À produits bio, cuisson bio !

En dehors des substances émises par la cuisson elle-même (gaz carbonique, par exemple), les constituants des ustensiles qui nous servent à cuisiner peuvent polluer nos aliments.Bisphénol A ou phtalates des plastiques et revêtements antiadhésifs, métaux lourds des casseroles, nanoparticules et produits de traitement du bois des spatules, silicone de certains papiers de cuisson, rien de ce que nous utilisons n’est anodin ! Sans compter bien sûr que, dans les ingrédients que nous choisis- sons, on retrouve tout ce qui a servi à les produire : pesticides, antibiotiques dans les produits animaux, composés radioactifs pour les aliments irradiés...Face à toutes ces substances indésirables, si l’on sait depuis longtemps que le bio s’impose, encore convient-il de savoir le préparer convenablement, sans risquer de le dénaturer.


La vitamine C est détruite à 60 °C

« Une bonne cuisson, résume Claude Aubert, ingénieur agro- nome pionnier de l’agriculture biologique et cofondateur de Terre vivante, c’est une cuisson qui ne détruit pas les vitamines et qui ne fabrique pas des substances indésirables à long terme : c’est donc une cuisson brève et à température pas trop élevée...»À la chaleur, on le sait, de nombreuses vitamines sont mises à rude épreuve : dès 60 °C, la vitamine C disparaît. Les vitamines B1 et B9 sont tout aussi fragiles.Ainsi que d’autres pré- cieux nutriments (voir tableau page 56).Pour être vraiment sûr de préserver la qualité nutritionnelle des aliments, il faudrait les consommer crus, ce qui n’est pas toujours compatible avec l’idée de cuisine ou de sécurité alimentaire, notamment pour les viandes et les poissons : aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) a lancéune vaste campagne d’information sur la cuisson, rappelant que, pour éviter le développement des bactéries pathogènes, il fallait cuire et maintenir au chaud à 60 °C au minimum.Mais, question température, point trop n’en faut non plus car la cuisson peut entraîner la formation de substances toxiques. Des réactions chimiques peuvent en effet survenir au cours de la cuisson, comme la réaction découverte en 1908 par le chimiste français Louis-Camille Maillard. La réaction de Maillard survient lors de la mise en présence d’acides aminés des protéines et de sucres, entraînant une glycation des protéines avec la formation de produits dits de glycation avancée (ou AGE pour advanced glycation end-products) tels que l’acrylamide ou la carboxymé-thyllysine (CML). Des composés qui sont à l’origine du brunissement du pain, de certains alcools ou des frites. Or ces composés, tel l’acrylamide, qui peuvent se former dès 120 °C, sont connus depuis les années 2000 comme étant cancérogènes...Pour cuire, on distingue deux modes : la cuisson à la chaleur humide et la cuisson à chaleur sèche. La première implique l’utilisation d’un liquide ou de vapeur et d’un peu ou pas du tout de matière grasse : à la vapeur, en papillote, en sauce ou encore en faisant pocher, bouillir, sauter ou braiser... La cuisson à chaleur sèche s’effectue avec très peu d’humidité et toujours un peu ou pas du tout de matière grasse. C’est le cas lorsqu’on fait griller, rôtir, sauter ou frire.


À l’eau : cuisson express ou soupe

On a longtemps accusé l’eau d’appauvrir les légumes d’un point de vue nutritionnel : il est vrai que tous les aliments perdent leurs qualités lorsqu’ils sont cuits à gros bouillons pendant trop longtemps. Le brocoli par exemple : en 2007, une étude de l’université de Warwick (au Royaume-Uni) a montré que plus de la moitié, sinon les trois quarts, des glucosinates aux propriétés anticancéreuses que contiennent brocoli, chou de Bruxelles, chou-fleur et chou vert, disparaissaient après seulement trente minutes de cuisson à l’eau.Pour autant, « la cuisson à l’eau, rappelle Claude Aubert, est souvent dénigrée à tort. Car si elle est très brève, 2 à 3 minutes seulement, les légumes restent croquants et sont peu dénaturés.» Tout comme les poissons et les fruits de mer, qui nécessitent une cuisson brève. « Si une cuisson longue est nécessaire, faites une soupe, poursuit l’ingénieur, car vous conservez alors l’eau de cuisson dans laquelle passent les vitamines ! »


Basse température

C’est en cuisant les aliments à basse température (moins de 90 °C) puis à l’étouffée dans leur propre chaleur que vous préserverez l’essentiel de leurs apports nutritionnels.La cuisson à l’étouffée est une cuisson humide qui consiste à mettre les ingrédients avec très peu d’eau dans un récipient fermé et à feu doux. La température monte progressivement, jusqu’à ce qu’un joint d’eau se forme entre le couvercle et le récipient. La température idéale est atteinte sans déperdition de chaleur. La cuisson se poursuit hors du feu, à l’étouffée, donc, à 80, 90°C.


Vapeur : gare à la température !

La cuisson à la vapeur est intéressante, pour peu que l’on prenne garde de choisir un appareil qui permet de ne pas monter trop en température. Finie la cocotte-minute, quelque peu tombée en disgrâce après avoir fait les beaux jours de la diététique dans les années soixante : atteignant aisément 120 °C, la vapeur sous pression met vraiment à mal les vitamines. Quelques astuces existent pour réduire les temps de cuisson : « Prégermer les pois chiches (pendant 2 jours environ) permet de réduire le temps de cuisson à 15 minutes à la vapeur », révèle la consultante en cuisine bio et auteur culinaire Valérie Cupillard. Autre bémol : lorsque la vapeur atteint le couvercle, elle se condense et retombe sur les aliments, risquant de les «rincer» peu à peu de tous leurs nutriments, exactement comme si on les faisait cuire à gros bouillons.


Choisir son cuit-vapeur

Il existe des ensembles destinés à la cuisson vapeur,que certains affirment « douce ». Une appellation que Salva Ridaura, créateur de la marque d’ustensiles ABE, n’hésite pas à qualifier d’abusive : « La vapeur, d’un point de vue physico-chimique, ce n’est toujours que de l’eau qui passe à l’état.

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