Tabou et insoutenable
Le samedi 15 juin, c’est la journée mondiale de sensibilisation à la maltraitance des personnes âgées. Le seul jour de l’année où le monde entier est censé s’opposer aux souffrances psychologiques, physiques ou financières infligées à nos aînés. Le terme sensibilisation paraît vain et faiblard face à une situation qui, de toute évidence, se développe de façon drastique et impitoyable.
Entre 1995 et 2025, le nombre des plus de 60 ans dans le monde devrait au moins doubler, et passer de 542 millions à quelque 1,2 milliard. L’espérance de vie ne cesse de croître et plus que jamais le profil du personnel soignant représente un élément sociétal important. C’est dire si l’on a intérêt à s’y sensibiliser à cette problématique. Et surtout qu’il devient urgentissime de mieux contrôler une tendance qui ne fait que s’accentuer. Cependant, la tâche est ardue, car les mailles du filet sont complexes et nombreuses. La maltraitance est insidieuse, perfide et parfois protégée.
Des études récentes en France et en Belgique montrent qu’une personne âgée sur cinq environ est victime de maltraitance que ce soit à domicile ou en institution. Au plus la personne est âgée, en mauvaise santé, fragilisée psychologiquement et isolée, au plus le danger de mauvais traitements s’intensifie. Des dizaines de milliers de personnes vulnérables ne mangent pas ou ne boivent pas toujours à leur faim et sont parfois privées de toilette pendant plusieurs jours. D’autres subissent des sévices physiques ou moraux.
Maria Worroll a 81 ans. Elle souffre d’Alzheimer et d’arthrite et elle a besoin de soins 24 h sur 24. Elle réside dans une maison classée “excellente” au nord de Londres.
Sa fille a installé une caméra dans la chambre, après avoir remarqué des ecchymoses sur les bras et les jambes de sa maman. Pendant deux nuits, elle a filmé secrètement ce qui se passait là. Récemment, la BBC 1 en a diffusé les images. Des images qui montrent des aides-soignants en train de lui engouffrer la nourriture dans la bouche, de la bousculer sans aucun ménagement, de la gifler même. Une violence immonde. Cinq contre une.
Les cinq membres du personnel soignant ont été virés. Malheureusement, tout le monde n’a pas la possibilité de faire installer une caméra cachée.
Et pourtant chez nous aussi, certaines maisons de repos sont décriées. Avec un business qui explose. Et aussi une forte pression économique. Et le manque de place aussi. On est avant tout dans la gestion plutôt que dans l’humain. Une gestion pas toujours propre. Quelqu’un me parlait il y a quelques jours seulement d’une seigneurie où certains membres du personnel sont payés pour mener la vie dure à des résidents choisis tout ça pour les forcer à partir, et laisser la place à d’autres.
Selon l’Alma (association d’écoute aux victimes), les personnes les plus fragiles face aux mauvais traitements sont en majorité des femmes (75 %), plutôt âgées (en moyenne 79 ans), vulnérables, incapables de se défendre ou de réagir et elles sont des victimes désignées (souvent dépendantes).
C’est précisément pour protéger les femmes, que la féministe Thérèse Clerc, 85 ans, vient d’inaugurer sa Maison des Babayagas (qui signifie vieilles sorcières, en russe) à Montreuil, en région parisienne. Son langage est carré et explicite. Son leitmotiv : Mourir vieux, c’est bien mais vieillir bien, c’est mieux.
Elle parle des vieux et pas des personnes âgées ou des seniors : Nous, on ne veut pas une maison de retraite. On ne veut pas de bonnes femmes qui nous emmerdent pour faire la toilette à l’heure et le repas à l’heure.
Bien vieillir grâce à un mode vie solidaire, avec une ouverture sur le monde extérieur ; avec une vie participative et des principes écologiques. Et l’entraide, la vie ensemble, tout en préservant l’autonomie, indispensable.
Dans les établissements d’accueil des personnes âgées, la cause souvent invoquée en termes de maltraitances c’est pratiquement toujours le manque de personnel et de moyens. C’est vrai que ces éléments ont forcément un impact. Et les gestionnaires devraient y réfléchir avant de penser bénéfices, stricto senso.
Mais n’est-ce pas tout un système qu’il faudrait revoir plutôt en amont ?
Les pouvoirs médicaux tels qu’ils existent aujourd’hui secrètent la maladie, génèrent de la déchéance. Le pire c’est que les vieux acceptent cela parce qu’ils sont pris en charge, qu’on les aide, les accompagne. Ils sont rassurés avec leur pilulier, leur ordonnance longue comme le bras, et leur sac de médicament. Si on traitait la vieillesse autrement, il y aurait beaucoup moins de dépendants. 2
La question est posée. C’est vrai que Thérèse Clerc, elle, jouit encore d’une bonne santé. C’est peut-être ce qui fait la différence dans le ton.
1. www.bbc.co.uk/news/uk-17810136, April 2013
2. Un anti-Ehpad sur-mesure pour vieilles pétroleuses, egora.fr, 19 avril 2013









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