Viandards mais pas pigeons
Chers lecteurs de Bio Info, de crainte de vous bassiner à nouveau avec les semences potagères, à nouveau tristement menacées, voici quelques réflexions plus bidochardes inspirées d’une visite chez mon boucher. En le voyant, tout sourire, découper ma volaille fermière d’élevage « raisonné » (Biocoop était fermé), je me suis dit que nous entrions, doucement mais sûrement, dans l’ère d’une nouvelle révolution alimentaire.
Si les Français n’ont pas encore pris le chemin de la viande bio (consommée par 43 % d’entre eux contre 47 % en 2011), ils commencent à prendre des distances avec la barbaque sous vide des supermarchés. « Les achats en dehors des circuits traditionnels de la grande distribution et du hard discount progressent, peut-on lire dans les derniers Chiffres de la consommation responsable ; pour la viande ovine, les circuits de proximité, ventes directes et marchés représentent désormais 10 % de la consommation. » Mon boucher peut garder le sourire. Sa viande est plus chère, mais aussi bien meilleure, et c’est fièrement qu’il me confirme qu’elle attire de plus en plus de clients, dégoûtés du supermarché. La filière porcine vient d’ailleurs de pousser des hurlements devant la baisse de sa rentabilité : les matières premières coûtent trop cher et la grande distribution ne peut plus augmenter ses prix.
Alors que les scandales alimentaires font les unes des JT, les médias dévoilent aussi les ravages de l’élevage industriel : pour produire 1 kilo de viande, il faut 14 000 litres d’eau, 7 à 16 kg de céréales et… 25 kg de poisson réduit en farine !
Tous les signes sont donc au rendez-vous pour deviner, même de manière très précoce, le changement qui nous attend : la viande va prendre de moins en moins de place dans nos assiettes et cela en faveur d’une chair de meilleure qualité. À l’heure où des experts internationaux publient « La vérité sur la viande », un appel qui fait suite aux documentaires sortis ces dernières années (« L’adieu au steak », « Global Steak, demain nos enfants mangeront des criquets », « La face cachée de la viande »…), le végétarisme a également de beaux jours devant lui.
N’allons pas trop vite : nous sommes encore en train de gravir le sommet à partir duquel la courbe de notre attrait pour la viande va baisser. La consommation de viande a quadruplé dans le monde ces dernières années. Les Français eux-mêmes sont plus viandards que jamais (notre consommation moyenne annuelle est passée de 82 kg en 2009 à 88 kg). Mais on peut maintenir : les enfants d’aujourd’hui sont des végétariens en puissance. Du moins reviendront-ils au poulet du dimanche. À la bonne chère des jours de fête.
Patriotes, ne sortez pas vos mouchoirs ! Non, en France, on trouvera toujours du saucisson. Le coq au vin gardera sa place dans nos menus ainsi que les « jambons, langues de bœuf fumées et andouilles » dont Rabelais nous met l’eau à la bouche. Ces cochonnailles et fumaisons seront seulement plus chères parce que de meilleure qualité. Et, espérons-le, aussi d’élevage biologique. Mon boucher se dit « pas (encore) convaincu par le bio », mais au moins, chez lui, on sait d’où vient ce qu’on achète et on en apprend parfois plus (il paraît qu’en Normandie, les volailles ont attrapé une maladie de pigeons anglais). À défaut de pouvoir me fournir toutes les semaines en viande certifiée, je me réjouis de penser qu’en arrangeant ses affaires je contribue à pousser dans le ravin la viande aux hormones. C’est un minimum. Une étape de transition bel et bien engagée.