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Du pain qui veut du bien à nos intestins

Du pain qui veut du bien à nos intestins

Le pain est un sujet décidément aussi complexe que la molécule de gluten. « Je vous mets au défi de trouver une seule définition correcte du gluten sur internet, pose d’emblée Roland Feuillas, boulanger et producteur de farines de blés anciens à Cucugnan. On dit tout et n’importe quoi, au détriment des personnes qui ont une vraie maladie. » Un avis qui rejoint le constat de toujours de l’Afdiag, l’Association nationale des malades coeliaques, mais aussi celui de Céline Berthollet, directrice marketing de la boulangerie-pâtisserie artisanale Pain de Belledonne distribuée en magasins bio, qui dénonce le même amalgame. « On diabolise les blés et le pain sans distinction. Ce sont les pains blancs qui sont dénués d’intérêt nutritionnels et mis en cause dans la digestibilité du gluten. En bio, les pains sont rarement blancs, la base étant le demi-complet (farine T80). » 

En bio, le pain est en outre dénué des additifs et pesticides qui le rendent toxique. Mais le problème de la sensibilité au gluten est lié à de nombreux autres facteurs, de ce que l'on consomme par ailleurs au stress quotidien en passant par nos modes de vie toujours moins attentifs aux bases de notre santé.

L'hypersensibilité au gluten résulte de facteurs nombreux et variés

« Le grand public a raison de se méfier du gluten, qui est une molécule par définition difficile à digérer, pose aussi Roland Feuillas, au contraire des bouillons, de la cuisine vapeur, des plats coréens, par exemple, qui se digèrent facilement, voire fournissent de l’énergie au moment où ils sont digérés : alors que la digestion, normalement, peut prendre jusqu’à 40% de notre énergie, la digestion de ces aliments hyper digestes va jusqu’à fournir de l’énergie supplémentaire, un peu comme si vous lancez un vélo dans une pente descendante au lieu de le lancer dans une côte… » Or, aujourd’hui, on mastique beaucoup moins que nos ancêtres : 12 mastications - pas loin de 8 chez les enfants - contre 28 chez nos ancêtres. Et des repas avalés en 20 minutes. « On produit moins de salive, notre pancréas est aussi beaucoup plus sollicité. »

Des variétés de sélection trop riches en gluten

Concernant le pain en lui-même, Fanny Leenhardt, docteur en nutrition et chercheuse à l'INRA jusqu'en 2007, résume dans sa thèse (soutenue en 2005) les quatre points qui posent problème depuis l'industrialisation de la boulangerie dans les années 1950 : « La dévalorisation du blé, la production des farines sur cylindres plutôt que sur meules, l'accélération de la panification et l'usage excessif de sel. »

Sur le premier point : « Depuis 20 ans, la qualité du blé cultivé a fortement évolué. Grâce à un effort de sélection, de nombreuses variétés sont devenues plus riches en gluten et plus facilement panifiables.» L'objectif de rentabilité du travail et des ventes est devenu supérieur à celui de la qualité nutritionnelle. Roland Feuillas travaille au contraire avec des farines « à faible force boulangère ». Grâce à une fabrication spéciale, de la mouture sur meule de pierre - en un seul passage - à la cuisson au four à bois en passant par une fermentation très lente de la pâte (15 heures) et peu de sel ajouté, il parvient à réaliser des pains savoureux plébiscités par les consommateurs, à Cucugnan, où s'était rendue une équipe de France 2 en 2015 (voir à 11 mn), mais également sur son site marchand, Farinedemeule.com, fort de « 1600, 1700 clients plutôt réguliers ».

La meule de pierre conserve le germe et les nutriments du blé

« L'autre bouleversement majeur qui a altéré la qualité du pain est venu du remplacement de la mouture sur meules de pierre par la mouture sur cylindres, explique en effet la thèse de Fanny Leenhardt. Dans le premier cas, on écrase le grain par pression et friction ; dans le deuxième cas, on désagrège et on fractionne les constituants du grain. La farine issue de meules de pierre contient une grande proportion du germe et est enrichie en particules de son. »

Le pain retrouve ainsi le chemin de sa valeur nutritionnelle et organoleptique. La meule de pierre permet de produire des farines plus complètes, qui intègrent le germe du blé, voire une partie des enveloppes du grain même si ce dernier point ne fait pas l'unanimité. Les « trois dernières enveloppes » qui constituent le son, par exemple, n'entrent pas dans le pain de Roland Feuillas, qui estime que les nutritionnistes pourraient changer d'avis concernant l'intérêt du son pour la santé. « Le pain pourrait retrouver une place centrale dans notre alimentation s’il était de meilleure valeur nutritionnelle et donc confectionné avec des farines plus complètes », notait pourtant Fanny Leenhardt dans sa thèse en 2005.

Le levain, facteur de digestibilité

La majorité des pains vendus en magasins bio sont donc à base de farines semi-complètes, plus riches en nutriments, panifiables telles qu'elles et encore proches des habitudes des consommateurs. « Les pains à base de farine T80 sont ceux qu'on vend le plus, note Céline Berthollet chez Pains de Belledonne, viennent ensuite les farines T110 et intégrales. » Le cahier des charges de la boulangerie savoyarde qui vend aujourd'hui dans toute la France intègre ces farines semi-complètes à la meule de pierre, mais aussi l'utilisation du levain, « dont les enzymes vont découper le gluten pour le rendre plus digeste », explique Amaury Robert, responsable de la production des farines, une fermentation d'au moins cinq heures et une pétrie très courte, « 3 à 4 minutes maximum ». À l'opposé, « le pétrissage intensif pratiqué dans la boulangerie industrielle rend aussi le gluten difficile à digérer » ; il détruit en outre les arômes naturels du blé, ce qui oblige à ajouter beaucoup de sel voire d'additifs, et ses nutriments les plus intéressants dans le pain : les minéraux et acides aminés. 

Des farines semi-complètes plus riches en nutriments

La plupart des boulangers vendus en magasins bio sélectionnent leurs farines en fonction de cette qualité nutritionnelle. Belledonne se fournit par exemple chez Moulin Marion, en variétés telles que le capo, un blé tendre français devenu une référence en agriculture biologique, le launa ou l'apache... « Chez nous, ce ne sont pas forcément des blés anciens, mais des farines qui se suffisent à elles-mêmes pour faire du pain, qui ne nécessitent pas d'être corrigées », note Amaury Robert. Des farines « à force boulangère », mais pas de farines blanches (T 55). Même si l'on trouve des baguettes classiques sous label bio dans les supermarchés, le produit reste d'ailleurs rare dans l'ensemble du réseau bio. Faut-il vraiment dire adieu à notre baguette traditionnelle après avoir abandonné le béret ? « La baguette à la mie blanche a été promue comme un symbole de pureté et d'abondance après-guerre, mais certains boulangers font des baguettes de type tradition qui restent excellentes », clarifie le responsable de production.

Sur ce chemin de la santé, de plus en plus, la boulangerie bio, à l'instar de Pain de Belledonne, fait place aussi à des farines sans gluten (sarrasin, riz, châtaigne...) et à des blés paysans, non inscrits au catalogue officiel des semences, comme la florence-aurore, qui n'entre pas pour autant pas dans la liste des semences anciennes puisqu'il est né en 1963. Le catalogue officiel des semences répond aux critères « DHS » pour distinction, homogénéité, stabilité, « des critères qui sont une aberration dans la nature », tempête Roland Feuillas.

Les blés anciens, enjeu de demain ?

C'est donc son combat : le boulanger en circuit court de Cucugnan, qui prépare d'ailleurs un livre sur la qualité du pain avec la nutritionniste Fanny Leenhardt, prône l'utilisation exclusive de ces blés anciens et paysans. En clair, des blés qui « n'ont fait l'objet d'aucune sélection » et dont « le poids moléculaire des protéines et beaucoup plus faible ». Ces blés contiennent des glutens par conséquent beaucoup plus petits. Une étude, en 2010, avait comparé les variétés paysannes aux variétés modernes sélectionnées pour conclure que les dernières pouvaient avoir eu un impact sur le développement de la maladie céliaque. Également selon la nutritionniste Fanny Leenhardt, « les blés anciens contiennent des glutens beaucoup plus digestes ».

Passionné par les semences anciennes, de Palestine, d'Europe centrale ou de France, le boulanger producteur de Cucugnan dispose d'environ 200 de ces variétés, en exploitation ou seulement en multiplication. Il réalise ce travail conservatoire avec l'association Kokopelli, elle aussi à la recherche des blés anciens de nos terroirs qui pourraient retrouver un avenir dans notre consommation - barbu du Roussillon, blanc des Flandres, rouge d'Alsace, blé d'Aragon...

Faire du blé un ami des céliaques

Une dernière étude publiée en août 2014 dans les « Cahiers de nutrition et de diététique » accorde du crédit au rôle de ces semences anciennes dans la réduction de l'hypersensibilité au gluten. « Même si la présence d’épitopes allergènes n’est pas limitée aux blés modernes, l’hypersensibilité au gluten pourrait être provoquée par la difficulté de sa digestion globale. Il est difficile de ne porter aucun crédit aux nombreux témoignages des boulangers qui semblent avoir résolu les problèmes de sensibilité au gluten en panifiant au levain des variétés anciennes, de très faible valeur boulangère ». Roland Feuillas est d'ailleurs convaincu que l'on peut résoudre le problème du gluten « avec le gluten lui-même » . Dit en d'autres termes, « on pourrait faire du vrai pain pour les céliaques ».

Pains de Belledonne a choisi de son côté de développer une gamme de pains sans gluten en plus de son offre de pains Montignac, pain de petit épeautre des Hautes-Alpes sous label Biopartenaire et pains longue conservation. Pain bio à la farine semi-complète, pain de semences anciennes ou pain sans gluten : trois solutions à choisir en fonction de sa sensibilité. « L'idée est de varier, de ne pas manger de blé forcément tous les jours à chaque repas »note Céline Berthollet.

Si le Pr Henri Joyeux fait lui aussi l'éloge du pain de Cucugnan, le bio, par son souci d'élaborer des pains à forte valeur ajoutée nutritionnelle, permet aujourd'hui de fuir au quotidien le pain blanc conventionnel, de culture intensive et riche en additifs nocifs. Une première solution pour ne pas céder aux sirènes de la mode du tout sans gluten, dénoncée également par le Pr Christophe Cellier, gastro-entérologue à l'Hôpital européen Georges Pompidou... La haine du pain n'est pas non plus de mise pour Christian Remésy, ancien directeur de recherche à l’INRA et auteur de «L'Alimentation durable» (éd. Odile Jacob), qui a dirigé la thèse de Fanny Leenhardt. « Il faut arrêter cette phobie, répond-il au magazine Plantes & Santé. Le pain est un aliment sain et bon à condition de le choisir de qualité, c’est-à-dire bio, semi-complet ou complet, au levain et en privilégiant les variétés anciennes ». Si l'on n'est pas céliaque, on préférera la mode du slow glu au no glu.

(Photo ©Lionel Moulet-Belledonne.)

Carnet d'adresses :

Brottrunk Kanne (moût de pain)

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