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Des insectes au menu

Des insectes au menu

En 2050, on estime que la Terre devrait nourrir neuf milliards d’êtres humains, soit 30 % de plus qu’aujourd’hui. Où trouver les protéines dont ces neuf milliards de bouches auront besoin pour vivre, ou survivre ? Dans la viande ? Certainement pas. Si notre comportement alimentaire ne change pas, il faudra en produire 1,7 fois plus. Et si les pays émergents se mettent à consommer de la viande au rythme où nous la dévorons, il sera alors nécessaire d’en pro- duire deux fois plus d’ici
à 2050.

Comment faire, alors que les ressources agricoles et les espaces cultivables sont déjà limités et les biotopes naturels sous pression ? Dans son livre « Les insectes nourriront-ils la planète ? », Jean-Baptiste de Panafieu explique : « Une alimentation totalement végétarienne ne résoudrait pas tous les problèmes. Non seulement la viande revêt une importance symbolique et sociale très importante dans la plupart des sociétés, mais l’abandon des protéines animales suppose qu’elles soient remplacées par des protéines végétales dont la culture et la transformation ont également un impact énorme sur l’environnement.» Et si l’avenir était à la production alimentaire d’insectes ?
Utopie ? Même la prestigieuse FAO y voit un moyen, sans doute pas le seul, de contribuer à la sécurité alimentaire des populations de demain.

Une réponse écologique

Par rapport à l’élevage traditionnel, celui des insectes présente en effet d’indéniables avantages écologiques. Animaux à sang froid, les insectes ont un taux de conversion alimentaire élevé : en moyenne, 2 kg d’aliments sont nécessaires pour pro-duire 1 kg d’insectes, tandis qu’il faut 8 kg de nourriture pour produire 1 kg de viande de bœuf. Les insectes se révèlent aussi des modèles en matière de rejet de gaz à effet de serre. Faut-il le rappeler, on estime que 14,5 % de ceux-ci sont aujourd’hui issus de l’élevage. À côté de cela, nos petites bestioles produiraient en moyenne 10 à 100 fois moins de gaz à effet de serre que les porcs d’élevage.
Sans oublier que les insectes peuvent aussi se nourrir de déchets organiques, tels que les déchets alimentaires et humains, et même de compost et de lisier, tout en étant capables de transformer ces matières premières bon marché en protéines de haute qualité. Peu gourmands en eau, certains n’ont même pas besoin d’un apport hydrique supplémentaire. Les invertébrés ont de surcroît l’avantage d’être nettement moins exigeants en termes d’espace. On peut les élever sur plusieurs niveaux à la fois. Quand à leurs déjections, peu abondantes grâce, encore une fois, à leur remarquable capacité de conversion de la nourriture, elles peuvent être utilisées en tout point de la même manière que le guano.

Mieux que le steak

Mais vers de farine, grillons et autres sauterelles ne seraient pas bons que pour la planète. Ils présenteraient aussi un profil nutritionnel fort intéressant. La FAO rapporte que la valeur nutritionnelle des insectes comestibles est comparable à celle des aliments courants. À poids égal, ils contiennent deux à trois fois plus de protides que notre bon vieux steak ainsi que des acides aminés en général absents des végétaux.
Le termite affiche même un taux record de 80% de protéines. Davantage qu’un steak, mais également un meilleur profil nutritionnel : pas de cholestérol (les insectes n’en produisent pas) et une haute teneur en graisses insaturées bonnes pour la santé (60 % chez le ver de farine). Pour clore cette liste, le taux de vitamines, particulièrement de niacine (vitamine PP), de riboflavine (vitamine B2), de vitamines B1 et B6 et de sels minéraux, est aussi appréciable.

Propres à la consommation ?

Un bilan idyllique. Mais qu’en est-il de la qualité microbiologique des bestioles ? Après tout, la plupart des insectes traînent partout ou presque. « Un insecte frais compte 107 micro-organismes par gramme. Mais en utilisant différentes méthodes de conservation et de cuisson, on se retrouve avec 103, soit ce qu’on trouve dans la viande ou les légumes conventionnels. Et en général, on ne mange aucun insecte cru », précise Frédéric Francis, responsable de l’unité d’entomologie d’Agro-Bio Tech de l’université de Liège (ULG), à Gembloux (Belgique). Attention cependant à bien choisir la bestiole car à doses plus ou moins importantes, certaines bébêtes se révèlent toxiques. Les coccinelles, par exemple, sont bourrées d’alcaloïdes. En avaler une centaine de grammes pourrait vous conduire à des problèmes de rythme cardiaque.

Ce préjugé sur la saleté rejoint le plus gros frein à l’entomophagie : le dégoût. Plus de deux milliards d’êtres humains ont beau déguster des insectes depuis des siècles, la plupart des Occidentaux restent encore réfractaires à la simple idée de croquer un criquet. Pourtant les choses changent. « Il y a deux ou trois ans, lorsque nous faisions des dégustations d’insectes, beaucoup disaient : pas question que j’avale ça. La même proportion de gens aujourd’hui se demande lequel ils vont goûter. Lors de nos tests, deux personnes sur trois acceptent aujourd’hui de manger des insectes. C’est la raison pour laquelle on y croit », note Frédéric Francis. Les véritables perspectives de développement viendront cependant avec les farines protéinées d’insectes qui pourraient se substituer à leurs équivalents animaux ou végétaux partout où ils sont utilisés jusqu’ici : plats cuisinés, sauces, aliments préparés... Dans l’unité d’entomologie de Gembloux Agro-Bio Tech ULG, en Belgique, qui compte bientôt lancer sa propre filiale spécialisée dans les insectes comestibles, on teste par exemple des poudres contenant 80 % d’insectes que l’on utilise pour confectionner des mayonnaises, des cakes, des biscuits ou du pain.

Vide juridique

Cependant, d'importants obstacles légaux se dressent encore devant les pionniers de l’entomophagie. Pour l’instant, la vente d’insectes ou de produits à base d’insectes à destination de la consommation humaine n’est ni autorisée ni formellement interdite. « Depuis six mois, les discussions portent sur le fait de savoir si la consommation d’insectes en Europe date d’avant ou après 1997. Le dernier cas, privilégié pour l’instant, entraînerait le classement des insectes comestibles dans la catégorie des Novel Food. Ce qui veut dire à terme, un cahier des charges, des études sur la toxicité éventuelle, la sécurité alimentaire, etc.», souligne Frédéric Francis. En 2011, l’Union européenne a aussi décidé d’harmoniser, avant 2016, la législation des pays membres quant aux élevages d’insectes.

Une solution locale à un problème global

Pour accélérer ce mouvement, les raisons sociales et économiques ne manquent pas. L’élevage d’insectes est accessible à tous, les plus pauvres inclus. Cette activité aboutirait directement à améliorer le régime alimentaire des populations locales, mais fournirait aussi des revenus alternatifs à ceux qui, par exemple, vendraient ces insectes dans la rue, comme cela se pratique en Thaïlande. Au Kenya, des procédés simples mais efficaces d’élevage artisanal de grillons ont d’ailleurs déjà vu le jour. Il suffit d’un seau, d’une soucoupe garnie de coton imbibé d’eau, de papier carton plié et de végétaux. Dans certains pays comme la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les micro-élevages sont promus comme politique de développement des villages défavorisés.

Crasse food

Pour l’instant, faute d’une production développée en France, le coût des insectes dépasse encore largement celui de la viande. L’entomophagie est encore un luxe, même si quelques éleveurs intrépides se sont déjà lancés. L’entomoculture pourrait en revanche bientôt percer par le biais de l’alimentation animale. Ce qu’a bien compris la start-up française Ynsect qui propose depuis 2011 une farine destinée à nourrir les poissons et les volailles.
Pour l’alimentation humaine, reste à attendre le feu vert de l’Europe. Autorisation dont on peut craindre cependant qu’elle serve de plateau à une nouvelle crasse food industrielle aux marges appétissantes À quand les lasagnes à la farine de criquet, le surimi de vers de farine ?
Pour en savoir plus :

« Insectes comestibles », de S. Much, Éd. Plume
 de Carotte, 2012. 

« Délicieux, 60 recettes à base d’insectes »,
 de Romain Fessard, 
Éd. Heliopole, 2013.
  

« Les insectes nourriront-ils
 la planète? », 
de Jean-Baptiste 
de Panafieu,
 Éd. du Rouergue,
 2013.


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