Diététique chinoise : rencontre avec une thérapeute
Comme chaque mardi, elle reçoit dans son cabinet parisien, près de la place de Clichy. La belle Autrichienne à la quarantaine énergique donne un surprenant coup de jeune au cliché du vieux sage voûté qui émergerait d’entre ses bocaux remplis de racines… Forte d’études à Paris, New York, Buenos Aires, et d’une pratique hospitalière en Chine, Isabelle Obrist vit la pensée chinoise comme une raison d’être.
Notre « réserve vitale »
De plus en plus, on vient la consulter non pour les « classiques » problèmes de douleurs de règles ou d’hypersudation, mais pour sauver sa peau, explosion du nombre d’allergies oblige, et son âme (dépressions). Après avoir longuement interrogé, examiné, massé et soulagé son patient, la thérapeute va établir son bilan énergétique. Pas question de prescrire pharmacopée ou séances d’acupuncture sans commencer par la base : apprendre à se nourrir de manière adaptée. Le rêve d’Isabella : que chacun d’entre nous puisse être le gardien de sa santé. Comment ? En choisissant chaque jour, avec conscience ce qu’il met dans son assiette.
Nos choix de vie sont cruciaux. L’air que nous respirons et les aliments que nous avalons, s’ils sont de bonne qualité, nous permettent de ne pas puiser prématurément dans notre capital inné. Ainsi, nous pouvons intervenir non seulement pour renforcer notre « réserve vitale », autrement dit, pour nous maintenir en bonne santé, mais aussi pour gagner du qi, traduisible par dynamisme et énergie.
L'aliment, première source de notre énergie
S’il nous est difficile de modifier les macrophénomènes, comme l’air que nous respirons ou les catastrophes naturelles, notre alimentation, elle, est au premier rang des moyens dont nous disposons : « On est ce que l’on mange. Point ! L’énergie vitale que l’on a à notre disposition vient en grande partie de l’énergie acquise, donc de ce que nous mangeons. Le corps est alimenté par le sang, qui est le résultat de la transformation du bol alimentaire. Tout simplement. » Isabella rappelle que, tandis que le nombre des cancers augmente, de manière inquiétante pour certains, comme le cancer du sein ou les leucémies, seulement 2,5 % du budget de la santé est consacré à la prévention. Aussi, la diététique est-elle venue progressivement au premier plan de ses préoccupations : « Ce sont des connaissances accessibles. Avec un thérapeute, on apprend vite comment notre organisme fonctionne, quelles sont ses faiblesses, et une fois que c’est acquis, que l’on connaît les principes, on peut décider facilement de bien se nourrir pour entretenir au mieux sa santé. »
Mais que signifie « bien se nourrir » pour la médecine traditionnelle chinoise ? Isabella n’aime pas donner de conseils à la volée car chaque patient est unique. Mais une chose est universelle : l’importance d’une alimentation biologique, ou au moins issue de l’agriculture raisonnée. La première qualité d’un aliment est l’énergie vitale qu’il nous apporte, or celle-ci se perd vite. « Les aliments non bio n’ont plus assez de vitalité, soyons honnêtes ! Ce n’est pas une Parisienne bobo qui vous dit ça. Je raisonne au niveau énergétique : combien je peux tirer de ce que je mange ? Si l’on se nourrit d’aliments contenant peu d’énergie vitale (transformation industrielle, pesticides), nous donnons peu d’énergie vitale à notre corps ». Autre évidence, la nocivité des régimes : « Ils sont absurdes et ont des effets secondaires nocifs. Le fameux régime hyperprotéiné fait trop travailler le système digestif, le foie et les reins. Il fait perdre de l’énergie vitale. On creuse le lit de maladies futures. »
Malades du sucre
Des conseils simples facilement applicables par tous ? Éviter de manger des aliments froids et crus, qui demandent beaucoup d’énergie au corps pour être élevés à température avant de pouvoir être digérés : « Les personnes qui n’ont pas un système digestif fort ont des gonflements de ventre et de la fatigue après avoir mangé cru. » Terminer ses repas par du liquide et du chaud, « un petit bouillon ou une tisane, par exemple au fenouil ou au fenugrec ». Introduire plus de céréales dans son alimentation : riz, millet, couscous, boulgour… Manger les fruits en dehors des repas. Ne pas abuser des produits laitiers, « difficiles à digérer, qui créent de l’humidité dans le corps », ni du sucré.
« L’envie de sucré est déjà pathologique. Le corps réclame du doux quand il a besoin d’être tonifié, et on l’interprète comme une envie de sucré. » Enfin, prendre des petits-déjeuners chauds : « Rien de pire que du jus d’orange et du pain blanc le matin. Ça fait gonfler le ventre et donne des gaz. » Isabella s’arrête : « Je déteste le côté preacher. » Mais, même si la liste est courte, la suivre peut déjà constituer, pour nombre d’entre nous, une petite révolution dans nos habitudes alimentaires…
Locaux et de saison, les légumes sont des super-aliments !
Et les super-aliments, quels sont-ils pour la médecine traditionnelle chinoise, qui ne les classe pas selon la classique typologie occidentale, en fonction de leur teneur en vitamines et oligo-éléments ? De fait, les bienfaits d’un aliment dépendent de la saison et de la constitution de chacun. Les fruits et légumes de saison, qui ont poussé localement, sont donc des super-aliments ! S’il fallait n’en citer qu’un : la carotte, « cuite », précise la thérapeute. Pour les mêmes raisons aussi, le potiron et le potimarron, légumes orange et naturellement sucrés, qui apportent de l’énergie rapidement disponible à la rate et à l’estomac pour digérer. « Un aliment sain mais que l’on s’épuise à digérer ne nous fera au final aucun bien. » S’il n’est pas digéré, ses nutriments ne parviendront même pas à nos organes nobles (poumons et cœur) puis à notre sang.
Autres gardiens de notre santé, les bouillons, « quand il y a déficience digestive », les herbes aromatiques, qui tonifient la rate, ce chef d’orchestre de nos organes, et les épices comme le poivre, le gingembre ou le curcuma qui font circuler. « L’objectif est d’éviter la stagnation, d’éliminer les toxines de notre corps. »
Retrouver le plaisir
À cette équilibriste de l’assiette, on a envie de demander enfin, au-delà de la diététique, quels secrets de vie elle peut nous révéler. Elle qui ausculte depuis longtemps nos maux répond sans hésitation : « Que l’on retrouve le plaisir ! Le plaisir a été oublié. Nous faisons passer le devoir avant le plaisir. Quand on demande à une personne de quoi elle a envie, ce qu’elle veut vraiment, elle ne sait pas répondre. C’est très profond. Les gens ne savent pas ce qu’ils veulent vraiment. On ne leur a pas posé la question. Ils ne se la posent pas. »
Le plaisir qui nourrit, pour Isabella, c’est avant tout le plaisir simple. « On va se faire plaisir avec des choses très élaborées : week-end à Rome, saut à l’élastique… Mais plus le plaisir est simple, mieux on nourrit son intérieur. Pour moi, c’est marcher en forêt, cueillir des framboises avec mes enfants, faire la cuisine ensemble. » Difficile pour l’homme contemporain d’être centré sur ce qu’il est et désire réellement : « Nous sommes tellement stimulés que nous nous dispersons. C’est le mot exact. On oublie ce que l’on veut vraiment. Je n’ai pas de télé, je ne vois pas de pub. » Isabella est une boussole qui nous recentre : prendre en main notre santé, écouter nos envies profondes, écarter le superficiel sans avoir peur du vide.
(Photos ©Maeva Delacroix.)
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