La naturopathie, médecine du corps et de l’esprit
Les scandales à répétition – affaire du Mediator ou des pilules de troisième et quatrième générations pour ne citer qu’eux – n’ont fait que confirmer la tendance. En France et en Europe, les patients sont de plus en plus nombreux à chercher des alternatives au tout médicament proposé par la médecine allopathique. Selon les chiffres avancés par une note du Centre d’analyse stratégique parue en octobre 2012, 70 % des habitants de l’Union européenne (UE) se sont tournés vers des pratiques dites « non conventionnelles » au moins une fois dans leur vie et 25 % y ont recours chaque année. Ce chiffre atteint 80 % pour les personnes atteintes de cancer. Les usagers les utilisent en complément de la médecine allopathique – par exemple pour diminuer les effets indésirables de la chimiothérapie dans le cas des cancers – ou comme alternative, notamment pour les maladies chroniques ou les allergies que la médecine conventionnelle ne parvient pas à enrayer. Outre le souhait d’avoir accès à des solutions naturelles respectueuses du corps et de l’environnement, c’est aussi l’écoute offerte par ces praticiens, par opposition au rythme effréné des consultations médicales, qui est plébiscitée par les patients.
La cause plutôt que le symptôme
Parmi la grande variété de pratiques dites alternatives et/ou complémentaires – homéopathie, ostéopathie, acupuncture… – la naturopathie est répertoriée comme une « médecine non conventionnelle » par l’UE, et comme une « médecine traditionnelle » par l’OMS, aux côtés des médecines chinoises et ayurvédiques. Elle partage avec ces dernières une approche holistique : elle considère l’être humain dans sa globalité par opposition à la démarche réductionniste de la médecine conventionnelle, qui traite séparément les maux. L’homme est considéré à la fois sous l’aspect physiologique et psychologique, et comme intimement lié à son environnement. L’hygiène de vie au sens large est donc prise en compte.
« La naturopathie prend ses racines dans le deuxième courant de la médecine, qui considère l’homme plus que la maladie et envisage celle-ci comme le résultat de déséquilibres internes bien plus que comme le résultat d’une atteinte venant de l’extérieur », explique André Roux, naturopathe, chroniqueur pour Bio Info, et fils du fondateur en 1985, de la Fédération française de naturopathie (FENAHMAN).
Le deuxième courant de la médecine ? C’est celui de Claude Bernard et d’Antoine Béchamp, par opposition à Louis Pasteur, inspirateur de l’allopathie. Une phrase de Claude Bernard définit cette conception : « Le microbe n’est rien, le terrain est tout. » Le naturopathe postule en effet qu’un organisme bien portant détient en lui-même les clés de sa guérison. En soignant le terrain, la naturopathie veut s’attaquer aux causes par opposition à une médecine conventionnelle qui se limiterait à supprimer le symptôme. Dans sa conception, la maladie est considérée comme le processus de nettoyage mis en œuvre par le corps pour retrouver son équilibre. « Elle ne doit pas être envisagée comme une ennemie, mais comme une alliée, souligne ainsi André Roux, qui exerce comme enseignant à l’Institut d’hygiène et de médecine naturelles, à Namur, en Belgique. Par exemple, la fièvre permet de multiplier les enzymes et de rendre plus efficace leur travail, mais aussi d’éliminer les déchets. Dans la plupart des cas, il est contre-productif de lutter contre. » Daniel Kieffer, responsable du Collège européen de naturopathie traditionnelle holistique (CENATHO), l’un des principaux centres de formation en naturopathie, et actuel président de la FENAHMAN, résume : « La naturopathie est fondée sur le principe de l’énergie vitale. Elle vise à réveiller les capacités de guérison et d’autoguérison dont tous les organismes vivants sont dotés, à travers trois techniques majeures : l’alimentation, l’exercice physique et la gestion émotionnelle. » Ces trois techniques illustrent bien la vision holistique de la discipline.
Un peu d’histoire Un fondement, plusieurs courants Si les fondements de la discipline puisent dans les traditions hippocratiques, le concept et le terme de naturopathie furent établis pour la première fois par John H. Scheel en 1895 puis enseignés et diffusée à New York en 1902 par Benedict Lust. En France, Pierre-Valentin Marchesseau proposa, dans les années 1940, une synthèse des différents courants hygiénistes américains (Tilden, Macfadden, Shelton…) et européens (Kneipp, Kuhne, Salmanoff, Carton, Durville…). Il forma toute une génération de praticiens. En France, André Roux, Philippe Dargère, André Lafon, André Masson, Daniel Kieffer ou encore Christian Brun, pour ne citer que les plus connus, ont pris la suite de cet héritage. |
Une médecine préventive
La naturopathie se présente d’abord comme une médecine préventive. « Nous sommes des éducateurs de santé », aiment à répéter les praticiens. Leur rôle : faire prendre conscience aux patients qu’à travers leur hygiène de vie, ils sont responsables de leur capital santé. Mais la naturopathie a également une visée curative. « Elle peut soulager de nombreuses maladies chroniques, pour lesquelles la médecine conventionnelle n’apporte pas de réponse satisfaisante : colopathies, problèmes de transit, allergies, rhumatismes articulaires, dermatoses, troubles de la libido, déprimes, ou encore troubles du sommeil. Elle peut en outre traiter les affections hivernales classiques », illustre Daniel Kieffer.
Les naturopathes se réclament d’Hippocrate : « Que l’alimentation soit ton principal remède », et « À tout malade, un régime tu donneras », comme prônait le médecin grec au Ve siècle avant J.-C. La nutrition, les cures ou les diètes sont au centre de la démarche. Les praticiens vantent également les vertus d’une alimentation saine et biologique. « Il ne sert à rien de soigner une maladie dont on connaît les causes alimentaires si ces causes ne sont pas modifiées », souligne André Roux. Sylvie Schäfer, naturopathe à Paris, donne un exemple : « Prenons le cas de l’acné, la médecine conventionnelle va traiter le bouton, donc le symptôme, en recourant notamment aux antibiotiques, dont on connaît les effets secondaires néfastes. À l’inverse, nous essayons d’intervenir sur la cause, c’est-à-dire le terrain, en essayant de comprendre quels sont les déséquilibres, en particulier alimentaires, à l’origine de l’acné. » Sophie Campagnie, naturopathe à Roubaix (Nord), abonde dans son sens : « Aujourd’hui, compte tenu de nos modes de vie, la plupart des gens sont à la fois en carences nutritionnelles et en surcharge. » Elle organise régulièrement des stages de jeûne d’une semaine, couplés à de la randonnée. « Le corps sait gérer le manque, mais il est au contraire submergé par l’excès. Or le jeûne intensifie les mécanismes de détoxification de l’organisme », explique-t-elle. Cette pratique se doit bien entendu d’être encadrée par des professionnels. Elle est de plus déconseillée aux femmes enceintes.
Deuxième pilier de la discipline, la psychologie ou l’hygiène neuropsychique. La naturopathie considère que les pensées négatives détériorent le terrain, par le biais du système nerveux sympathique, qui agit sur les organes. Un état de stress permanent dérègle ce mécanisme, entraînant de nombreux troubles. Relaxation, gestion du stress, sophrologie, psychothérapie sont ainsi les alliés de cette approche. L’exercice physique est le troisième pilier de la naturopathie, car en activant les fonctions organiques, il contribue à l’élimination des toxines. Or la sédentarité des modes de vie actuels ne favorise guère ces fonctions. Gymnastique douce, yoga, stretching, danse, natation, marche… sont ainsi recommandés par les praticiens.
Pour moduler les trois techniques majeures qui sont la clé de voûte de la naturopathie, et qui permettent à elles seules de corriger l’hygiène de vie, le thérapeute peut recourir à sept techniques mineures : « Il s’agit de l’hydrologie (utilisation de l’eau de façon locale ou générale, interne ou externe, en bains, douches, thalassothérapie…), les techniques manuelles (massages), la réflexologie (appliquée au pied, à l’oreille, au nez, shiatsu…), les techniques respiratoires (empruntées au yoga, aux arts martiaux, l’ionisation, etc.), la phytologie (plantes, huiles essentielles…), les techniques énergétiques (magnétisme, aimants…), et enfin les techniques vibratoires (utilisation des couleurs, des rayonnements solaires, lunaires…) », énumère Daniel Kieffer.
Corriger des affections légères
D’une durée d’une heure environ, une séance chez le naturopathe consiste à réaliser un bilan vital. Le praticien interroge le patient sur son mode d’alimentation et son hygiène de vie afin de déterminer quels sont les déséquilibres qui ont entraîné l’apparition de ses troubles. « Le bilan ne conduit pas à indiquer des remèdes anti-symptomatiques, mais à la mise en place des mesures visant à drainer les toxines, combler les carences, soutenir les organes déficients, et réformer sur certains points l’hygiène de vie du malade », indique Christopher Vasey, naturopathe installé en Suisse, dans son « Petit traité de naturopathie ». Pour compléter l’interrogatoire, le thérapeute peut avoir recours à la technique de l’iridologie, qui consiste à observer l’œil avec une loupe. Selon cette méthode, le dessin de l’iris s’interprète comme une cartographie du corps.
Compte tenu de la palette de pratiques que la naturopathie englobe, la plupart des praticiens se spécialisent. Ainsi, Sylvie Schäfer est-elle plutôt portée sur la phytothérapie et l’iridologie. « En complément, je travaille beaucoup en réseau avec des ostéopathes, des acupuncteurs ou des réflexologues », indique-t-elle.
Si le naturopathe est à même de corriger de nombreuses affections légères, il n’est en revanche pas habilité à traiter des pathologies lourdes, à moins que son intervention ne se limite à un complément à la médecine conventionnelle. Il ne doit sous aucun prétexte inciter son patient à renoncer à un traitement allopathique. Un certain nombre d’affaires relayées par les médias ont mis en cause des praticiens des médecines alternatives, accusés de dérives sectaires. Ainsi, la journaliste belge Nathalie De Reuck a publié en 2010 un ouvrage dans lequel elle relate le parcours de sa mère décédée d’un cancer du sein. Adeptes des pratiques naturelles, les thérapeutes qui la suivaient ne l’ont pas orientée vers la médecine conventionnelle.
« Ces affaires sont le fruit d’autodidactes. Aucune d’elles n’a impliqué les membres de l’OMNES ni les élèves passés par les écoles de la FENAHMAN », défend Daniel Kieffer. Il précise que le premier des préceptes des naturopathes, comme des médecins, est celui d’Hippocrate : « Ne pas nuire. » S’ils sont en désaccord avec certaines méthodes de la médecine allopathique, tous les naturopathes contactés reconnaissent ses bénéfices dans le traitement de pathologies lourdes ou de l’urgence. « Il m’arrive régulièrement de conseiller de faire une coloscopie si je détecte des diverticules au cours des séances d’irrigation du côlon que je pratique », illustre Sophie Campagnie.
À savoir Un certain nombre de mutuelles prennent en charge les séances de naturopathie. Parmi elles, citons Allianz, Assurema, CCMO, Dolce Medica, Sud-Ouest Mutualité, MFIF, Mutuelles de France 73, Myriade, Reunica, SMEBA ou Adrea Mutuelle. |
Un travail de crédibilisation
Le travail entrepris par la FENAHMAN pour la reconnaissance de la naturopathie par les pouvoirs publics va dans le sens d’un meilleur encadrement des pratiques. La profession n’étant pas réglementée, n’importe qui peut aujourd’hui s’improviser naturopathe. Néanmoins tous les praticiens ne partagent pas la vision de la fédération. « Bien que mon père ait toujours lutté pour cette reconnaissance, je suis quand à moi plus réservé. Un cadre légal trop restrictif peut nuire aux possibilités d’évolution de la discipline. Les contraintes imposées aux écoles en termes de volume horaire ou de techniques enseignées pourraient avoir pour conséquence de former des techniciens plutôt que des thérapeutes », s’inquiète André Roux. Un point de vue qui explique que toutes les écoles de naturopathie ne souhaitent pas entrer dans le giron de la FENAHMAN. Aujourd’hui, sur une quinzaine, seulement, six d’entre elles y sont affiliées. Rejoindre la fédération implique l’adhésion à un tronc commun d’enseignement, à un examen national et à une charte de déontologie. Cela ne signifie pas pour autant que l’enseignement dispensé par les écoles non membres n’est pas sérieux. D’une façon générale, la plupart d’entre elles ont d’ailleurs entrepris un travail de crédibilisation favorable à la discipline.
Encadrer Entre reconnaissance et diabolisation En octobre 2012, le Centre d’analyse stratégique (CAS), organisme qui dépend du premier ministre, publiait une note favorable à une reconnaissance des médecines alternatives. « Dans l’avenir, offrir la meilleure stratégie thérapeutique au patient passera par la combinaison, quand cela sera pertinent, de la médecine conventionnelle et des approches soignantes différentes », soulignait ainsi l’étude. Malgré tout, la méfiance reste de mise, tant du côté de certains naturopathes qui craignent un encadrement trop restrictif de leurs activités, que dans la sphère politique, peu ouverte à ces méthodes. À lire le rapport d’information des sénateurs paru au mois d’avril, intitulé « Dérives thérapeutiques et dérives sectaires, la santé en danger », on comprend que l’intégration des médecines complémentaires n’est pas à l’ordre du jour. Daniel Kieffer en sait quelque chose : le responsable de la Fédération française de naturopathie a lui-même été visé en 1999 par la Mission interministérielle contre les dérives sectaires (MIVILUDES). |
Médecin et naturopathe
Dans ce contexte, comment un particulier peut-il choisir son naturopathe et s’assurer qu’il n’a pas affaire à un charlatan ? « Il ne faut pas hésiter à lui poser des questions sur sa formation : combien de temps a-t-elle duré, quel établissement l’a formé ? » souligne Sophie Campagnie, qui affiche son certificat de formation dans son cabinet. Signalons à ce titre qu’aucune école ne délivre de diplôme puisque la formation n’est pas reconnue.
Les questions des patients sont d’autant plus légitimes que les naturopathes sont généralement issus d’une reconversion professionnelle. Ainsi Sophie Campagnie a-t-elle exercé comme ingénieur commercial avant de suivre une formation au CENATHO. Parfois, ils viennent des milieux de la santé, comme Sylvie Schäfer, ancienne pharmacienne qui a suivi une formation de Heilpraktiker en Allemagne. Quelques-uns sont à la fois médecins et naturopathes. Jusqu’à récemment, l’université Paris XIII de Bobigny proposait aux professionnels de santé (médecins, infirmières…) un DU de naturothérapie, par opposition à la naturopathie destinée aux professions non médicales. Gilbert Glady, généraliste à Colmar, a fait partie des premiers étudiants à suivre ce cycle et des derniers à y avoir enseigné. « La médecine conventionnelle ne correspondait pas à ma façon de voir les choses ni à la demande de beaucoup de patients, explique-t-il. Quand le potentiel de régulation de l’organisme est épuisé, la naturopathie ne suffit plus. Le recours à l’allopathie se révèle alors nécessaire. Tout l’intérêt est de faire profiter le patient du maximum de ressources thérapeutiques. »
Néanmoins, ces médecins généralistes naturothérapeutes sont peu nombreux en France. « On en compte une cinquantaine, contre environ 2 000 naturopathes », estime Daniel Kieffer. Outre la formation, pour Sylvie Schäfer, le bouche-à-oreille est aussi un critère de sélection. « C’est la même chose que pour n’importe quel praticien. Personnellement, je ne consulte pas un médecin qui ne m’a pas été recommandé. » Ensuite, tout est affaire d’affinité et de confiance réciproque. Enfin, en cas de doute, il ne faut pas hésiter à consulter son généraliste.
Car, comme le souligne André Roux, même les naturopathes vont chez le médecin !
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