Le shintaïdo, la vie en mouvement
Une chorégraphie subtile, une méditation en mouvement, une cocréation féconde… J’ai été conquise par l’excellent documentaire de Vivressentiel consacré au shintaïdo 1 ! Fascinée par le mélange de beauté et de singularité, d’énergie et de paix, de puissance et de douceur, d’engagement et de liberté se dégageant de cette originale voie du corps.
Décontenancée aussi, car cet art de l’expression de soi passe par des voies inhabituelles. Ne vous arrêtez pas, surtout, aux premières images du documentaire, où les pratiquants s’époumonent en plein air ! « Cela peut paraître étrange des gens qui crient », fait remarquer dans le film Pierre Quettier, instructeur de shintaïdo en France. En effet. Mais cela prend tout son sens lorsqu’on le replace dans la dynamique de cette pratique, qui propose d’explorer ses propres limites, ses espaces intérieurs, ses potentialités… ses terra incognita.
Une voie du cœur par le corps
La discipline passe ainsi par l’énergie de la voix. Une expression-vibration qui, contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’est « jamais du n’importe quoi », précise, lors de notre rencontre, Frédérique Dolphijn, instructrice en Belgique. « Tout est habité », propose-t-elle. Habiter son corps, l’action, la relation, le présent, l’environnement, là est la clé du shintaïdo, étonnant mélange de détente et d’engagement total.
« Exprimer par les mouvements et les formes du corps une sorte de monde révélé, dont la pratique (du shintaïdo) nous ouvre la porte tout en répondant aux exigences particulières des arts martiaux… voilà le vrai but de la vie des hommes, rien d’autre que la quête de la vérité », précise Hiroyuki Aoki, le fondateur du shintaïdo dans les années soixante au Japon.
Endeuillé par la guerre
Marqué par la perte d’une partie de sa famille pendant la Seconde Guerre mondiale, il épouse la voie du karaté pour fortifier son corps et son âme. Hiroyuki Aoki y excelle, mais il n’est pas comblé… Épris de liberté, de beauté (c’est un fervent amoureux des arts) et de paix, le karatéka se met alors en quête d’une nouvelle discipline qui, tout en se situant dans la lignée des arts martiaux, relèverait les défis du monde moderne, de plus en plus assujetti au stress, à la vitesse, et à la compétition.
Recherches et méditation
Accompagné de pratiquants de haut vol, il s’investit dans d’intenses recherches, passant par des pratiques physiques et l’expérimentation de nombreuses techniques de méditation, d’arts traditionnels ou encore de médecine chinoise. Ce qui en émerge est si radical que cela ne peut s’insérer dans les écoles de karaté… De là naîtra le shintaïdo, « un art de mouvement et d’expression de la vie » 2.
Le shintaïdo demeure un art martial. Avec ses katas, à pratiquer seul, à deux ou en groupe, pour certains accompagnés par la voix et/ou par un bo, bâton traditionnel. Mais cet art martial diffère dans son essence des techniques de combat habituellement associées à ces disciplines.
L’intention y est tout entière « dirigée vers plus de vie », comme en témoigne dans le film Clélie Dudon, instructrice en France. Vers plus de respect, aussi : de soi, de l’autre, de la nature. Tout simplement vers plus de vie. Surtout, l’esprit de compétition y est remplacé par celui de coopération : il n’y a ni gagnant ni perdant.
Pas de compétition
On expérimente, sans faux-semblants, ses potentialités et ses limites, ses forces et ses fragilités. C’est un système ouvert, respectueux de l’être. Chacun est libre de progresser à son rythme. Comme un même exercice peut être accompli de multiples façons, il n’y a pas d’exclusion (quel que soit l’âge ou l’état de santé). « On habite des techniques, mais chaque rencontre est une cocréation, une œuvre commune », souligne Frédérique Dolphijn.
En lieu et place d’une confrontation stérile, voire d’une volonté d’écraser l’autre, on met en jeu un moteur positif de connexion en profondeur. L’adversaire devient un partenaire. « Je ne vais pas faire du mal à mon partenaire, au contraire je vais lui faire du bien », partage l’instructeur Jean-Louis de Gandt.
Dans cet art martial, certes efficace, on utilise davantage la souplesse, la fluidité du mouvement et l’interconnexion sensible, plutôt que la prise de pouvoir agressive. Ainsi, n’ira-t-on pas contre l’autre, mais on cherchera à l’ouvrir à d’autres possibles. Cette tournure d’esprit imprègne alors l’existence. « La vaste boîte à outils du shintaïdo est transposable dans la vie de tous les jours. La fluidité, par exemple, permet une capacité d’adaptation très concrète », explique Frédérique Dolphijn. On y développe aussi l’ouverture, l’écoute, la bienveillance, l’intelligence collective, la collaboration constructive, la responsabilisation, la confiance, le dépassement de soi. Autant de qualités que la société actuelle nous oblige à développer pour survivre dans le monde de la vitesse.
Un art de vivre au quotidien
L’alternance entre des pratiques dynamiques et d’autres s’apparentant à une méditation en mouvement offre une complémentarité équilibrante. « Cela permet d’enrichir toutes ses dimensions », témoigne Isabelle, pratiquante assidue. Ainsi, plus on pratique, plus on se découvre. Bientôt, on ne « fait » plus du shintaïdo, on est shintaïdo ! Je me suis inscrite à la rentrée…
Hiroyuki Aoki, le créateur du shintaïdo, a développé plus récemment des techniques spécifiques destinées aux personnes âgées ou qui souhaitent une pratique plus douce de cet art. Il pratique également la calligraphie et dirige aujourd’hui l’institut Tenshin, au Japon, consacré à l’étude de la calligraphie, de la méditation et, depuis 2008, du kenjutsu, art du sabre des samouraïs.