Marie de Hennezel : le deuil, une expérience de vie
Bio Info : Que nous enseigne le deuil ?
Marie de Hennezel L’irruption de la perte de quelqu’un dans un trajet de vie fait toujours évoluer, à condition d’avoir pleine conscience de ce deuil. C’est une occasion pour chacun de prendre conscience de la précarité des choses, des êtres. À force d’écouter des personnes qui traversaient des crises de la vie, j’ai découvert que l’être humain ne se réduit pas à ce que nous voyons ou à ce que nous croyons voir. Il est toujours en puissance de s’accomplir, toujours en transformation et cela jusqu’à la dernière minute de sa vie.
La mort est une rencontre entre le deuil de celui qui part, qui quitte la vie, et le deuil de ceux qui perdent un être aimé.
Oui, sauf si, étant donné que l’on est dans la douleur, on se défend de celle-ci par une forme de déni de protection réciproque : celui qui va mourir qui fait comme s’il n’allait pas mourir pour protéger ses proches, et ces derniers qui font la même chose. Ce non-dit qui s’installe se paye très cher ensuite.
Vous dites que le deuil nous ouvre à autre chose, que l’on devient plus attentif aux autres.
Le deuil nous apprend à lâcher prise, à être plus tolérant… Il nous rend plus généreux et plus humain. Lorsqu’on a traversé une grande souffrance, on devient plus attentif à celle des autres. Le deuil ouvre donc à une plus grande capacité à accompagner la souffrance d’autrui. Il nous ouvre à autre chose. Lorsqu’on a compris cela, on regarde les crises et les difficultés de la vie autrement : comme des étapes sur le chemin de la vie.
Nous sommes en deuil tout au long de notre vie…
Oui, nous sommes confrontés tout au long de notre existence à une succession de pertes. J’aime beaucoup l’expression du philosophe André Comte-Sponville, « vivre c’est apprendre à perdre ». Parce que la vie est une succession de pertes et de renoncements. Freud dit que le monde nous dit non, la vie nous dit non. C’est la leçon des deuils. Nous, nous disons non à ce refus et c’est lui qui nous enferme dans la douleur.
Être présent à la mort d’un proche allège-t-il le deuil et pourquoi ?
Oui, dans l’espace chagrin, il y a le sentiment d’absence, mais tout ce qui a été vécu avant comme le sentiment d’être en paix avec la personne, tout ce qui s’est échangé, les mots, les regards, les gestes, tout cela, pour reprendre une jolie expression, tisse un linceul… On a le sentiment d’avoir entouré la personne dans cette épreuve. Le deuil reste douloureux, mais plus paisible, sans les tourments que l’on a lorsqu’on n’a pas réglé, dit ou fait certaines choses.
Comment vivre son deuil justement lorsqu’on n’a pas réglé ses problèmes avec la personne disparue ?
Je pense, en tant que psychothérapeute, que l’on peut toujours régler les choses. Dans certaines traditions religieuses, il y a des prières pour les morts mais le fait d’aller en thérapie, parler de ce qu’on aurait aimé dire ou faire a une valeur, une efficacité symbolique. Il y a les rites de deuil qui aident à déposer ce poids : écrire une lettre, parler à la personne. Ce sont des gestes symboliques efficaces parce que chargés de sens.
Est-ce que les croyances allègent le deuil ?
Je crois que ce qui permet un deuil plus léger est ce qui a été vécu avant. Je connais des personnes dans des milieux agnostiques qui sont parfaitement paisibles après le deuil d’une personne lorsqu’ils ont pu l’accompagner, lui dire au revoir. L’essentiel est bien ce qui a été vécu avant. Il y a des personnes qui n’ont aucune croyance mais qui ont le sentiment que, malgré tout, les gens qu’ils ont aimés sont présents quelque part. Ils se sentent accompagnés, parfois habités par le défunt, ayant la conviction que la relation ne se termine pas.
Distinguez-vous des étapes dans le processus de deuil ?
Oui, le Dr Élisabeth Kübler-Ross (ndlr : psychiatre américaine, pionnière de l’approche des soins palliatifs) parle de plusieurs étapes qui ne se déroulent pas forcément dans l’ordre qu’elle indique : le déni, la colère, la tristesse et enfin l’acceptation. Il y a ensuite une phase qu’on a appelée l’« héritage » : c’est reconnaître ce que la personne disparue vous a laissé, l’intérioriser, faire en sorte que cette personne continue à vivre en soi.
Comment le deuil peut-il se « guérir » ?
Le deuil n’est pas une maladie, c’est une expérience de vie. On peut être déprimé, avoir des problèmes de sommeil, de nutrition, c’est normal. Il n’est pas la peine pour autant de « pathologiser » le deuil. Il nécessite du temps et de la parole : pouvoir parler de la personne disparue, de ses émotions. Parler, c’est accepter son deuil.
* « Nous voulons tous mourir dans la dignité », de Marie de Hennezel, éd. Robert Laffont-Versilio, mars 2013.
Bio en bref
Accompagnatrice de la fin de vie
Psychologue et psychothérapeute, Marie de Hennezel intègre la première équipe de soins palliatifs en Europe continentale, à Villejuif. Elle relate l’expérience acquise dans ce service, et auprès des malades du Sida de l’hôpital Notre-Dame-du-Bon-Secours, dans « La mort intime » en 1995. En 2002, elle est missionnée sur l’accompagnement de la fin de vie à l’origine de la loi adoptée en 2004. En 2007, elle remet son rapport de mission, « La France palliative », au ministère de la Santé.