Soutenir le bio, ce n’est pas saupoudrer de la publicité politique
À l’ouverture du restaurant, vous aviez un tas de bonnes idées pour développer le bio sur le territoire. Que s’est-il passé ?
Le créneau de restaurant bio n’existait pas à Dunkerque, il y avait un concept à créer. L’idée était de travailler avec des produits bio mais aussi de valoriser la cuisine végétarienne et les légumes. Je voulais proposer une assiette à tendance végétarienne bio pas cher. Je travaillais avec des structures d’insertion et des producteurs locaux en circuit court. J’avais réfléchi à la politique d’achat pour qu’elle soit responsable, avec des produits frais travaillés sur place et même une fabrication de compost pour les déchets organiques. J’étais persuadée que ce nouveau concept allait faire bouger les choses sur Dunkerque et que ça intéresserait de nombreuses personnes. Nous devons réfléchir à un nouveau mode de consommation, mais apparemment le Dunkerquois n’est pas encore prêt pour ça.
Vous avez révélé à la presse avoir connu des difficultés d’approvisionnement…
On est mal desservis dans la région. On peut trouver des produits de base à des prix raisonnables, mais il fallait d’autres ingrédients, nécessaires pour diversifier ma carte. Trouver de la viande bio qui ne soit pas hors de prix, c’est quasiment mission impossible. Pour le lait et le beurre, j’étais obligée d’aller en supermarché ou alors de passer par une centrale d’achat à Rungis ou en Belgique. Mon pot de fromage blanc venait d’Alsace, par exemple. Il y a bien la ferme des Cabris, par ici, mais on n’y produit que du fromage de chèvre. Je n’ai pas réussi à trouver du bergues bio, par exemple. Pareil pour le pain, je n’ai pas trouvé de boulangerie bio. C’était un parcours du combattant au quotidien.
Pensez-vous que c’est un problème de territoire ?
À Lille, ça fonctionne. Alors pourquoi pas ailleurs ? Mais petit à petit je me suis rendue compte d’une résistance locale vis-à-vis de mon enseigne. Au lieu d’être vue comme un concept de resto sympa, j’ai été confrontée à de l’ostracisme. Il y a une réelle hostilité au bio sur le Dunkerquois. Le tissu ici est industriel, l’écologie n’est pas dans la culture locale. Il y a pourtant un vrai problème de santé alimentaire sur le territoire. Mais le bio n’est vu qu’à travers des stéréotypes et pas comme une réelle alternative alimentaire. Certaines de mes clientes m’ont avoué qu’elles avaient essayé d’emmener leurs maris chez moi et qu’ils leur avaient rit au nez, persuadés qu’ils allaient sortir de mon restaurant affamés. Ils ont certainement cru qu’ils allaient manger trois pauvres graines assis par terre. Il y a une totale méconnaissance du bio. Pire, aucune curiosité. Des amis me disent que je n’aurais pas dû écrire « resto bio » mais « resto de légumes ». Comme si le mot « bio » faisait peur. Je pense que le bio n’est pas encore entré dans les mentalités locales.
On ne vous a pas soutenue ?
Je n’ai pas eu de soutien de la Ville. C’était un concept novateur, j’espérais de l’engouement. En plus de m’être sentie seule, j’ai ressenti de l’hostilité de la part des VIP locaux. À Dunkerque, c’est un milieu très masculin, où l’on aime avoir du bifteck frites dans son assiette. On sait tous comment ça fonctionne : quand une personnalité politique déjeune dans une enseigne, ça garantit au restaurant une bonne publicité. Au moment de la Conférence européenne des villes durables, qui s’est déroulée à Dunkerque en mai 2010, il aurait été logique que les politiques viennent prendre leurs repas au seul resto bio de la ville. Personne n’est venu. Soutenir le bio c’est autre chose que saupoudrer par-ci par-là de la publicité politique. Ça nécessite un positionnement écologique fort.