Halal et bio : incompatibles ?
Depuis plusieurs années, Hadj Khelil avait en tête de proposer à la communauté musulmane de la viande bio. C’est désormais chose faite avec la marque Tendre France, qui propose depuis octobre des steaks hachés et des pièces d’aloyau, certifiés halal et AB. Pour le dirigeant de Bionoor, le raisonnement est simple : « Ne pas manger bio peut représenter un risque pour la santé. Pourquoi une partie de la population ne pourrait pas y avoir accès ? » Et d’ajouter : « Rien n’interdit explicitement l’abattage rituel sur des animaux élevés selon les principes de l’agriculture biologique. » Un argument juridique entendu par l’organisme de certification Écocert. « La société Bionoor nous a posé une question et nous y avons apporté une réponse réglementaire. Nous nous sommes appuyés sur les textes européens au regard des textes législatifs français », explique Antoine Faure, responsable de la réglementation chez Écocert.
La réglementation européenne [article 14 du règlement (CE) n° 834/2007, ndlr] dit que « toute souffrance, y compris la mutilation, est réduite au minimum pendant toute la durée de vie de l’animal, y compris lors de l’abattage ». Aucune précision n’étant apportée sur le mode d’abattage, chacun peut interpréter le texte comme il l’entend. Écocert a tranché mais rappelle qu’aucune réponse claire n’a été apportée à cette question déjà posée en 2011. « Jusqu’à aujourd’hui, notre interprétation des textes n’a été remise en cause ni par les pouvoirs publics ni par les acteurs de la filière bio », précise Antoine Faure, chez Écocert.
Peu de contrôle
La décision d’Écocert d’accorder le label AB à de la viande halal laisse un goût amer à ceux pour qui il existe une incompatibilité totale entre le bio et le halal. S’il reconnaît que cet événement a le mérite d’avoir
(re)lancé le débat, Frédéric Freund, directeur de l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA), parle d’une « véritable trahison » pour le consommateur. L’association a ainsi lancé une pétition relayée sur Facebook, qui, fin novembre, recueillait plus de 8 000 signatures. Son intitulé est clair : « Non à la certification bio de la viande issue de l’abattage rituel (animaux égorgés conscients). » L’objectif est l’annulation pure et simple de la certification délivrée par Écocert à la marque Tendre France. Selon Frédéric Freund, deux problèmes se posent. D’une part, la douleur infligée à l’animal serait plus importante dans le cas d’un abattage rituel. À ce niveau, la bataille d’experts est engagée. D’autre part, « l’absence monstrueuse de contrôles dans les abattoirs ». Comme sans doute pour les produits conventionnels, un consommateur pourrait ainsi acheter de la viande bio halal sans le savoir. « La profession tente de recadrer les choses », rassure Luc Mary, directeur de la SICABA, un abattoir agréé pour l’abattage d’animaux Label rouge et Agriculture biologique. En attendant, les adhérents de la coopérative sont récalcitrants.
« Nos éleveurs sont contre l’abattage rituel car il y a un problème de non-respect de l’animal, qui est l’un des fondements du bio », explique Luc Mary. Pour faire avancer le débat, il propose de réfléchir à une solution technique. Une issue inenvisageable pour Bernard Pujol, agriculteur bio dans le Gard, qui situe le débat à un niveau philosophique. Pour cet éleveur de vaches, de brebis et de canards, il n’y a pas de compromis possible sinon une compromission. « Je refuse que mes animaux soient égorgés vivants. Dans le cadre de l’abattage avec étourdissement, les animaux sont inconscients, la douleur est donc minimisée. Pourquoi remettre en question un tel acquis ? Le gavage, lui, est interdit en bio ! »
L’OABA a envoyé fin septembre des courriers recommandés aux institutions nationales et européennes. « Nous voulons une réponse claire concernant l’incompatibilité du bio et de l’abattage rituel. Si personne ne prend ses responsabilités, nous irons jusqu’au contentieux », prévient Frédéric Freund. La balle est désormais dans le camp de la filière bio et des politiques, qui jugeront opportun ou pas de se prononcer sur cette question épineuse. Car les consommateurs risquent de se détourner du label AB si celui-ci ne reflète plus leur conception de la culture biologique…
Du casher bio ? La marque André Krief commercialise du poulet casher certifié AB, un rare exemple sur un marché presque inexistant. Selon le rabbin Yehouda Alloun, gérant du Bureau de certification kosher européen (BCKE) qui effectue des contrôles dans les abattoirs, « il n’y a pas de demande pour ce type de produits, le casher étant déjà onéreux ». Une explication à laquelle on peut ajouter le fait que la communauté juive est dix fois moins importante en France que ne l’est la communauté musulmane. |