À la cantine, vous prendrez du made in France conventionnel ou des oranges bio en été ?
La proposition de loi sur la relocalisation de l'alimentation, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 14 janvier, n'a pas reçu le même accueil au Sénat. Le 2 mars à l'occasion de son passage en commission des Affaires économiques, le texte a été « profondément dénaturé », selon l'association Agir pour l'environnement, qui lance une pétition à l'attention des Sénateurs. Ces derniers doivent débattre et adopter le texte en séance plénière mercredi 9 mars. Ils ont jusqu'à lundi 7 mars pour déposer d'autres amendements.
La proposition de loi, qui s'appuie sur un rapport de la députée écologiste Brigitte Allain (Dordogne) sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et alimentaires présenté en juillet dernier, comprend cinq articles, dont le premier prévoit l'obligation d'introduire en restauration collective publique, à l’horizon 2020, 40 % d’aliments issus d’une production durable, dont 20 % d’aliments bio. Vingt pour cent de trop pour le sénateur UDI du Lot-et-Garonne Henri Tandonnet, qui a fait voter le 3 mars un amendement supprimant ce seuil et le remplaçant par "une proportion de produits correspondant aux capacités de production locale est issue de l'agriculture biologique".
Si dans la Drôme, département le plus riche en agriculteurs bio, un quart de la nourriture servie aux collégiens est déjà issue de l'agriculture biologique, d'autres départements ne pourraient pas suivre selon les sénateurs qui ont modifié le texte.
Bio ou local, il faut choisir dit le Sénat
« La surface agricole utile cultivée en "bio" représentait fin 2014 moins de 5% du total en France. Il est illusoire d’escompter une progression de la production en bio suffisante pour satisfaire, à échéance de 2020, l’objectif de 20% figurant dans la loi, sur la base de productions françaises, expose ainsi le texte de l'amendement. Les opérateurs n’auront d’autre choix, pour caler leur offre sur l’objectif, que d’avoir recours à des produits d’importation, au détriment de la production française. Il convient donc d’avoir une approche plus flexible de l’objectif de valorisation de l’alimentation durable en ne définissant pas d’objectif chiffré irréaliste en matière de "bio" qui pourrait aller à l’encontre même de l’objectif d’ancrage territorial de l’alimentation et de valorisation des productions françaises.»
Le sénateur du Lot-et-Garonne est à l'origine d'un autre amendement qui propose de remplacer l'obligation des colectivités locales en matière de produits durables par un objectif à atteindre en fonction de leurs possibilités. Une vision plus pertinente selon lui, dans la mesure où le texte initial ne mentionne aucune mécanisme de sanction.
L'économie nationale, oui, mais pas en bio
Les questions soulevées par les sénateurs se posent en effet. Vaut-il mieux du bio européen (voire de plus loin) que du conventionnel local ? Bio ou local, faut-il vraiment choisir? On peine bien à imaginer des collectivités s'approvisionner en bio le plus loin possible... de leurs entreprises et fournisseurs locaux. Qu'un département comme la Meuse puisse faire venir des produits biologiques de Côte-d'Or ou d'Allemagne, par exemple, n'aurait rien de choquant.
Enfin, devant l'urgence de transformer l'agriculture et les habitudes alimentaires, l'obligation telle que souhaitée par les députés, c'est-à-dire sous forme de belle parole (puisque les sanctions ne sont ni prévues ni d'ailleurs possibles), n'était-elle pas un minimum pour encourager le changement? Et au fait, si le texte ne prévoit pas de sanctions, que craignent donc les sénateurs de la Commission des affaires économiques?
Une coquille déjà vide
La suppression des 20% de bio dans les 40% d'alimentation durable serait d'autant plus regrettable qu'il s'agit du seul critère vraiment sélectif dans la liste des « signes d'identification» proposée. Dans le texte initial, en effet, peuvent prétendre à la notion, très vague en elle-même, d’« alimentation durable », les produits « sous signe d'identification de la qualité et de l'origine, ou ceux sous mentions valorisantes, ou ceux issus des circuits courts, ou ceux répondant à des critères de développement durable notamment la saisonnalité.», c'est-à-dire, en vrac, produits certifiés biologiques ou issus d’exploitations en conversion, appellations d’origine contrôlée (AOC), indications géographiques protégées (IGP), spécialités traditionnelles garanties (STG), Label rouge, produits fermiers, ou encore l'écolabel national « pêche durable »), les produits de saison et les produits de proximité. Un fourre-tout d'options sans rapport entre elles (et dont certaines sont encore sans cahier des charges vraiment limitant) pour arriver à un petit 40% de pâle amélioration dans la restauration collective.... alors que le bio, lui, continue de croître à un rythme soutenu (+17% en un an pour atteindre 1,3 million d’hectares en 2015). Surprenant.
Le bio menace le non bio
Si le texte voté à l'Assemblée n'est déjà pas, en soi, très exigeant, une version du Sénat sans le bio s'éloignerait encore plus d'un réel progrès. Le sénateur Henri Tandonnet l'explique : demander 20% de bio « reviendrait à dévaloriser les autres critères de cette alimentation tels que l’approvisionnement en circuits courts ou la saisonnalité des produits ». Des critères qui devraient pourtant être encouragés ensemble au détriment de ceux qui ne représentent aucun avantage pour la santé. Le message des sénateurs serait donc plutôt celui-là : du local, oui, mais surtout pas bio.
En le mélangeant avec d'autres labels (Label rouge, AOP...), le texte voté à l'Assemblée n'a finalement peut-être pas rendu service au bio.